Les aires protégées sont-elles un instrument efficace de protection de la forêt amazonienne ?

Publié le 17 janvier 2019 Mis à jour le 17 janvier 2019
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le 17 janvier 2019

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Les aires protégées sont-elles un instrument efficace de protection de la forêt amazonienne ?

La mise en place d’aires protégées est l’un des instruments souvent utilisés pour la préservation des ressources naturelles comme la forêt. Leur efficacité est parfois remise en cause. D’abord, la protection conférée par l’aire protégée peut ne pas être effective. Ensuite, les aires protégées peuvent être prioritairement implantées dans des régions où la pression de la déforestation est moindre. Enfin, les aires protégées peuvent déplacer la déforestation vers des zones non protégées. Les résultats de l’article montrent que certaines formes juridiques d’aires protégées (aires intégrales et autochtones) contribuent à préserver la forêt primaire au Brésil.

L’Amazonie brésilienne qui recouvre la plus grande forêt tropicale au monde est l’une des régions au monde où la biodiversité est la plus riche. Cette forêt primaire, en raison de sa multifonctionnalité, offre de nombreux services écosystémiques indispensables au bien-être humain. Ces services participent localement au bien-être des ménages les plus pauvres, notamment les services d’approvisionnement. A une échelle plus régionale et globale, le rôle de la forêt amazonienne dans la régulation des ressources en eau et le stockage du carbone est assez largement reconnu. En outre, le rôle de l’Amazonie brésilienne dans la lutte contre le changement climatique est crucial. La conservation de la forêt amazonienne est donc une priorité aussi bien de la communauté internationale que des autorités nationales ou locales.
Les taux de déforestation observés entre 2001 et 2010 étaient historiquement relativement plus élevés au Brésil que dans les autres pays d’Amérique latine. La déforestation dans la forêt amazonienne brésilienne enregistre cependant une baisse continue dès 2004. Une des causes de cette tendance à la baisse est attribuée au ralentissement de l’activité économique, consécutif à la crise financière globale. Un autre fait marquant durant cette période est la tendance à la hausse de la surface d’aires protégées, avec un doublement dans les années 2000 pour atteindre en 2009 42% de la surface forestière en Amazonie brésilienne. Trois types d'aires protégées ont été définis au Brésil. Les aires protégées intégrales (catégories I, II et III dans la classification de l’Union internationale pour la conservation de la nature, UICN) donnent la priorité à la préservation de la biodiversité. Dans ces zones, aucune activité productive n'est autorisée. Les aires protégées soutenables (catégories IV, V et VI dans la classification de l’UICN) permettent de combiner un niveau de protection de l'environnement et une utilisation « soutenable » de la ressource forestière. Enfin, les aires indigènes sont consacrées à la protection de l'espace vital des peuples autochtones.
L’objectif de l’article est d’examiner si la création des aires protégées a joué un rôle significatif dans la réduction de la déforestation en Amazonie brésilienne.

L’étude participe au débat sur l’efficacité comparée en matière de protection de l’environnement des instruments de type « contrôle et commande » dont les aires protégées sont l’illustration et des instruments de marché (paiements pour services environnementaux, mécanisme REED+, etc.).

L’article se concentre sur les effets de débordement géographique de la déforestation entre les municipalités brésiliennes, qui résultent des aires protégées. L’analyse théorique considère la forêt comme un bien public local et comme le facteur de production d’un bien privé. Nous modélisons une hypothèse réaliste dans le contexte brésilien. Il s’agit de l’effet d’infrastructure selon lequel la déforestation dans une zone donnée réduit le coût marginal de la déforestation dans les zones géographiquement voisines. Il en résulte que les décisions de déforestation sont des compléments stratégiques : la création d’une aire protégée dans une municipalité permet de réduire la déforestation dans les municipalités voisines et cela même en l’absence d’aires protégées dans celles-ci.
L'analyse économétrique est effectuée à l'aide d'une base de données géo-référencées sur l'utilisation des terres dans l'Amazonie légale brésilienne sur la période 2001-2009, et cela au niveau municipal. Un modèle permettant de tenir compte à la fois des interactions spatiales, de la dimension temporelle et du biais de localisation des aires protégées est estimé (modèle de Durbin spatial et dynamique). Les principaux résultats sont les suivants :

i) les aires protégées intégrales et les aires indigènes réduisent significativement la déforestation. Par exemple une augmentation de 10% de la surface des aires protégées intégrales permet de réduire la déforestation de 10,2% ;
ii) les aires protégées soutenables ne permettent pas de réduire significativement la déforestation ;
iii) l’hypothèse d’une fuite de déforestation entre les municipalités est écartée puisque les résultats montrent que les aires protégées intégrales et les aires indigènes réduisent directement la déforestation dans les municipalités concernées mais aussi indirectement dans les municipalités voisines.

Les aires protégées intégrales, qui se révèlent être les plus efficaces, ne représentent que 19% du total des aires protégées (contre 32% pour les aires protégées soutenables). Par ailleurs, les aires indigènes qui permettent également de freiner la déforestation n’ont pas pour première fonction de protéger la forêt. Nous pouvons donc en déduire qu’il existe encore des marges de manœuvre importantes si l’on veut renforcer les gains en déforestation évitée permis par la création d’aires protégées.
En termes de perspectives pour renforcer le rôle des aires protégées pour freiner la déforestation, des études devront aborder le dilemme environnement/développement et évaluer l’impact des aires protégées sur les revenus des ménages vivant en leur sein ou à leur périphérie.

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