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INTERVIEW : Samuel Guérineau « Changer le monde et se préoccuper des autres »

Publié le 7 mars 2022 Mis à jour le 10 mars 2022
Date(s)

le 7 mars 2022

Entretien avec le Doyen de l'École d'Économie de l'Université Clermont Auvergne

INTERVIEW Samuel Guérineau : « Changer le monde et se préoccuper des autres »

Quel est votre parcours ?

J’ai grandi dans le Maine-et-Loire, avec un petit intermède qui a quand même eu son importance en région parisienne, à Hyères. Après un DEUG à l’Université d’Angers, j’ai postulé à la formation de Magistère de développement économique. C'était le seul diplôme en France sur le sujet. En fait, un ami m’a dit : ≪ il faut que tu fasses ça, ça te correspond ≫. Je m’intéressais aux économies des pays en développement. Il a été plus proactif que moi pour découvrir ce diplôme. Et je ne le remercierai jamais assez puisque j’ai été pris ici et je n’en suis pas reparti. Je suis arrivé à Clermont-Ferrand pour la licence, j’ai fait les 3 années de Magistère puis j’ai enchainé sur le doctorat et j’ai été recruté comme maitre de conférences. J’ai progressivement pris des responsabilités au CERDI jusqu’à être élu doyen de l’École, il y a 3 ans.

Quels sont vos thèmes de recherche ?

Je travaille en macroéconomie financière. Concrètement : ce sont les systèmes financiers, les banques, le financement de l’aide. Ce qui est particulier pour les pays en développement, en dehors des financements ≪ de marché ≫, c’est qu’il y a toute une série de financements qui ont un but d’aide au développement. J’étudie les questions de financement au sens large, la politique monétaire et les taux de change. Ma thèse était consacrée à ces questions-là mais dans le cadre de la Chine. Ensuite, en tant qu’enseignant-chercheur, j’ai rélargi mes questionnements. J’ai choisi ces sujets de recherche en raison d’une combinaison de choses. J’identifie deux enseignants qui ont joué un rôle très fort. Surtout que s’intéresser à la monnaie ce n’est pas le truc le plus fun quand on fait de l’économie du développement. On peut étudier la pauvreté, les migrations, ce sont des sujets plus attractifs. Cela dit, il y a aussi les finances publiques (rires). Pour la monnaie j’ai eu un enseignant à Angers que j’ai adore. Et puis une deuxième enseignante, Sylviane Guillaumont. Je l’ai eu en magistère et ensuite, je l’ai choisie comme directrice de thèse. Après ma thèse, j’ai postulé sur plusieurs emplois, à l’OFCE, à Alternatives Économiques. J’avais plusieurs pistes. C’est vrai qu’il n’y a pas beaucoup de postes pour des enseignants-chercheurs. En économie, il y a quand même des recrutements. J’ai cherché un an. Puis un poste s’est ouvert. Je correspondais au profil. J’avais fait ma thèse sur la Chine. C’était le moment où il y avait beaucoup de velléité de développer des recherches sur la Chine, ça correspondait parfaitement aux besoins du CERDI à l’époque.

Quels sont les avantages du CERDI ?

La reconnaissance internationale du CERDI. On recrute de très bons étudiants tous les ans. On recrute également de très bons professeurs ce qui donne une grande qualité de cours. Ça a aussi des répercussions sur les évaluations. Elles ne doivent pas s’appuyer que sur du bachotage même si on a encore des progrès à faire là-dessus. Et puis ça a une répercussion énorme en termes d’insertion. Quand je suis venu il n’y avait qu’un magistère. Depuis il y a eu pas mal de nouveaux parcours en master. Quel que soit le nom du master, l’appellation CERDI est un passeport. Le nom joue vraiment. C’est une porte d’entrée. C’est un atout énorme. Les étudiants revendiquent ≪ on est CERDIens, on a fait le CERDI ≫. C’est un énorme avantage. Notamment au sein de CERDI Alumni que nous développons un peu plus maintenant. On a aussi beaucoup de doctorants. C’est encore un autre avantage. Pour assurer les enseignements en licence, en master, il y a des doctorants. On peut les mobiliser. Les étudiants de master les croisent, c’est très important. Il y a aussi notre ouverture internationale. La moitié des étudiants vient de l’étranger. Quand vous faites deux/trois ans avec une moitié de promo d’étudiants étrangers, vous apprenez plein de choses. C’est très enrichissant. Du côté de nos enseignants, 90 % voulaient être à Clermont-Ferrand. Cela crée une dynamique dans le petit écosystème qui s’est développé autour du CERDI. Depuis sa création, la Ferdi, avec Patrick Guillaumont, sert à la communication et au rayonnement international. C’est très complémentaire. Au fur et à mesure du temps, on s’est fait connaitre. On a répondu a de multiples appels d’offres et de financements (Labex, ISite). Le Labex nous aide à financer des choses pour lesquelles on n’aurait pas l’argent. Et la Ferdi nous aide à avoir accès a un réseau. C’est un think thank qui se fait connaître partout et on doit encore renforcer ce travail. Cela crée un environnement favorable pour nous. Car nous restons de taille modeste. Mais on pèse plus que les 1000 étudiants de l’Ecole d’économie.

Pour vous qu’est-ce que « l’esprit CERDI » ?

Le premier élément, c’est que les gens qui viennent au CERDI se disent : ≪ on peut contribuer à changer le monde. Il n’y a pas de raison, on peut changer les choses ≫. C’est très net pour beaucoup d’étudiants étrangers. Ils veulent participer à l’amélioration des conditions économiques de leurs pays. Les étudiants français viennent aussi travailler avec l’idée qu’on peut changer les choses avec des perspectives ultra-différentes. Certains viennent, ce n’est pas dominant, en disant ≪ le développement c’est le business, mais ça peut aussi servir à changer les choses ≫. Ça fait un point commun à nos promotions : changer le monde et se préoccuper des autres. Vouloir aider. Ce n’est pas juste une vision de progrès technologique mais aussi de changer le monde en corrigeant un peu les inégalités. Cette combinaison de motivation fait qu’on a historiquement une surreprésentation de femmes au CERDI. Le deuxième élément c’est la durée de formation. Elle se fait sur 3 ans avec la même promotion. Il y a un peu d’entrées et un peu de sorties. Le petit groupe crée des liens forts. Éparpilles aux quatre coins du monde, ils sont toujours contents de se retrouver. Ils ont l’impression d’appartenir à une communauté, qui a vécu et évolué un peu comme une famille. On a d’ailleurs souvent été vu comme un peu détaché de la faculté, un peu arrogant ! Parce qu’on était vraiment à part ! Ce qui est partage aussi c’est la réflexion au niveau global. C’est un gros point commun. Lorsque l’on fait de l’économie du développement c’est important. Même si tout le monde ne veut pas travailler à l’étranger (à peu près 1/3 ou 1/4 font leur vie professionnelle à l’étranger, tous ont une expérience à l’étranger. Ça permet de s’ouvrir et de prendre du recul. Sinon, les soirées culturelles ou chacun fait profiter les autres de ses talents artistiques doit également y être pour beaucoup (rires). Cela forme une communauté. Il y a tout de même un enjeu derrière ça. On est passe d’une centaine d’étudiants a 250/300 au niveau des masters. Il n’y a pas exactement la même cohésion qu’avant. On est déjà petit par rapport à l’Université donc c’est bien de s’être développe. On ne pourrait pas justifier d’avoir un labo de plus de 30 chercheurs dans le monde actuel juste avec cent étudiants !

Quel est le rôle du doyen au CERDI ?

Formellement je suis chercheur au CERDI. Les deux unités sont séparées. La faculté s’occupe des enseignements et le laboratoire s’occupe de la recherche. Mais les deux sont tellement lies qu’il y a une partie un peu commune. Le doyen doit définir le contenu des enseignements, le programme avec une équipe pédagogique et ensuite organiser la mise en œuvre des enseignements et des évaluations. Il y a quatre fonctions majeures : recruter les étudiants, enseigner, diplômer/évaluer et accompagner l’insertion professionnelle. Ce sont quatre grandes missions qui sont parfois un peu dans des logiques différentes. C’est difficile mais intéressant. Si on ne pense qu’a l’enseignement sans l’évaluation il y a des choses qu’on ne fait pas bien. Pareil si on pense à la sélection des meilleurs sans l’insertion professionnelle. Ça c’est une des principales évolutions des universités depuis 20 ans. Il faut admettre que c’est la moitié de notre job que d’accompagner vers l’insertion. Ce n’est pas trahir notre déontologie que de dire : ≪ on n'est pas la juste pour les former, leur apporter de la culture générale. On ne peut pas le faire indépendamment de l’accompagnement vers l’insertion professionnelle.

Quels sont les enjeux pour demain ?

On doit progresser sur l’attractivité, notamment en France. On est toujours très bien identifié. On attire plein de bons étudiants. Je ne vois pas de problème majeur de ce côté-là mais on a une érosion relative pour nos étudiants africains. Avant, pour des gens qui voulaient faire des formations liées au développement, on était dans le top 2 ou 3 systématiquement. Clairement depuis 20 ans, la concurrence du monde anglo-saxon a vraiment augmenté donc certains étudiants partent aux États-Unis. Il y a aussi de nouveaux programmes francophones. Il y a les Belges, les Canadiens. Les universités africaines sont aussi en train de bien se développer et ça c’est très bien. Quand je suis arrivé au CERDI, les majors de promos venaient souvent d’Afrique. On a un chantier à faire de ce côté-là. Pour formaliser notre réseau de recrutement sur place pour attirer les meilleurs. Il y a un autre enjeu : la transition numérique. Qu’est-ce qu’on est capable de faire à distance pour offrir directement des solutions sur le terrain, en Afrique. Et comment peut-on impliquer plus de chercheurs du sud dans nos formations ? Certains viennent mais c’est très ponctuel. Le côté ≪ on vient se former en France pour retourner repartir dans son pays ≫, dans 10 ans ce ne sera plus possible. Il faut réduire le déséquilibre et que nous ayons les mêmes rapports avec nos collègues du sud qu’avec les Américains ou des chercheurs occidentaux. On devrait avoir le type d’échanges qu’on a avec les USA ou l’Europe. Combiner des ressources du Nord et du Sud dans les formations. Que les formations coutent moins chers, c’est un gros défi. Il ne suffit pas d’une visio pour faire un bon cours. Il y a une transition qui est accélérée par la Covid-19 mais qui n’est pas encore évidente. Un rééquilibrage Nord-Sud reste à faire pour que l’on soit capable de monter des collaborations avec des instituts de recherche du sud de manière plus symétrique. Le dernier enjeu est national. Il faut aussi que l’on travaille sur notre approche par compétences dans les évaluations. On a déjà fait évoluer le contenu, il y a plus de travaux de groupes mais ce n’est pas encore assez. Il faut qu’on identifie encore mieux les compétences mobilisées (analyse, rédaction, synthèse, travail de groupe) par nos étudiants. Comme un complément au diplôme pour chaque étudiant qui pourrait dire : ≪ je sais faire ça, ça se sont mes points faibles... ≫