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INTERVIEW : Patrick Guillaumont et Sylviane Guillaumont Jeanneney

Publié le 10 février 2022 Mis à jour le 18 février 2022
Date(s)

le 10 février 2022

Entretien avec les co-fondateurs du Cerdi.

INTERVIEW : Patrick Guillaumont et Sylviane Guillaumont Jeanneney

Où vous êtes-vous rencontrés ?

Nous nous sommes rencontrés à Paris. Nous étions étudiants à la Faculté de droit et des sciences économiques de Paris. Nous avions le goût de la chose publique et des interactions économiques et sociales. Nous avons simultanément fait Sciences-Po. L’économie politique était en train de se transformer. En France, jusqu’à cette période, la discipline était fondue dans les études de droit.

Ensuite, elle a trouvé sa spécificité notamment avec le développement des méthodes quantitatives. La promotion dans laquelle nous étions était la première promotion de la licence en 4 ans, avec 2 ans de spécialisation en économie. C’était la première fois qu’il y avait principalement de l’économie en 3e et 4e années. Pour devenir professeur des universités, à l’époque, une fois qu’on avait le doctorat, il fallait passer un concours d’agrégation des Facultés. C’était un exercice assez particulier : il fallait quatre fois préparer en 24 heures et en équipe une « leçon » de trois quart d’heure. Il fallait aussi faire deux thèses ! Nous avons été reçus assez jeunes et nous avons eu la chance de pouvoir partir l’un et l’autre à Dakar. L’un était nommé à Dakar mais rattaché à Clermont et l’autre était nommé à Clermont mais détaché à Dakar pour la coopération ! Ce fut une expérience formidable. A l’époque, l’Université de Dakar ressemblait à une université française et les étudiants venaient de toute l’Afrique de l’Ouest. Les effectifs étaient assez restreints et les étudiants étaient très souvent excellents. Nous les connaissions très bien. C’était un creuset extraordinaire.

Malheureusement, en 1968, après les manifestations réprimées par le pouvoir, l’université a été provisoirement fermée et les étudiants étrangers sont repartis dans leur pays. C’est au cours de ces années passées à Dakar que notre vocation africaine s’est raffermie. De nombreux liens ont été tissés et depuis perdurent.

Comment l’aventure du CERDI a-t-elle commencé ?

PG : On a fait un choix au départ quand on s’est installé à Clermont Ferrand fin 1968. Nous étions de jeunes professeurs, nous venions de passer 4 ans au Sénégal à l’Université de Dakar et nous souhaitions créer un centre de recherche sur le développement.

SG : Comme l’université de Dakar avait été en partie fermée en 1968, nous avons « récupéré » d’excellents étudiants africains.

PG : Les collègues n’arrêtaient pas de nous dire : « Mais pourquoi vous voulez faire cela à Clermont-Ferrand ? » La voie normale c’était Paris. Dans le reste de la France, il n’y avait pas grand-chose en ce domaine. Mais comme on a engagé de jeunes collègues, que certains ont fait leur thèse ici, qu'ils sont devenus professeurs, nous avions un « contrat de confiance » avec eux. C’est ainsi que l’on a créé un outil sans équivalent à l’époque dans le domaine  de l’économie du développement. C’est différent à l’heure actuelle. La  prééminence parisienne s’est affaiblie. Il y a une vraie concurrence qui s’est  établie en France comme à l’étranger. Cette concurrence nous a servi mais  elle est aussi un défi pour l’avenir du CERDI. Nous avons cependant eu une petite hésitation pour savoir si nous allions rester à Clermont-Ferrand.

J’étais assez pris dans les années 70 parce que nous avions créé la Faculté de sciences économiques et que j’en étais le Doyen jusqu’en 1976. C’est alors que j’ai pu créer le CERDI qui a été reconnu en tant qu’unité de recherche associée au CNRS. Le CERDI a ensuite prospéré pour devenir le principal centre français en économie du développement. Je l’ai d’abord dirigé jusqu’en 1991, puis Sylviane a pris le relais de 1991 à 2000. Patrick Plane, Vianney Dequiedt et Grégoire Rota-Graziosi se sont ensuite succédé.

SG : En 1976, l’Université parisienne était dans une situation très  difficile. On disait alors : « Aucun professeur n’a un bureau et une chaise ».  On ne parlait pas encore d’ordinateurs ! La situation était très compliquée.  Pour nous, il y avait bien sûr les sirènes de Paris mais nous nous sommes  dits que si on voulait créer un centre de recherche semblable à ceux des  États-Unis ou de l’Angleterre, c’était plus facile à Clermont-Ferrand. On  voulait que les enseignants, les chercheurs et les étudiants puissent travailler dans un même lieu, qu’ils puissent se rencontrer. Nous n’aurions pas pu alors faire la même chose à Paris, où la conjoncture était très différente.

Aviez-vous envie de changer le monde comme de nombreux étudiants qui viennent étudier au CERDI ?

PG : Oui, bien sûr ! En toute modestie. Il ne faut pas se voiler la face quand on s’engage dans cette voie c’est qu’on a envie de faire bouger, évoluer les choses. Je le disais souvent aux étudiants : « Vous prenez cette voie parce que c’est là que sont les problèmes économiques les plus importants. Vous pourrez avoir un impact important grâce à vos recherches, votre travail ». D’ailleurs, à l’époque c’était un peu frustrant de voir combien la science économique était un peu déconnectée des problèmes réels les plus importants. Il y avait presque un gaspillage intellectuel. Aujourd’hui, la science économique est bien plus connectée à la réalité.

Pourquoi avoir choisi l’économie du développement ?

PG : Un ancien collègue m’avait dit : « L’économie du développement c’est fini ! ». Et en fait depuis sa remarque, elle s’est beaucoup développée en France et dans le monde. 

SG : D’un point de vue théorique, il y a beaucoup d’avancées de l’économie du développement qui sont passées dans la théorie économique générale. Parce que les pays en développement ont des structures particulières qui amènent à des réflexions neuves. C’est une science très stimulante.

PG : Ce qui a fait la spécificité du CERDI c’est notre double relation, avec le Sud et avec les institutions internationales. Pour le Sud, on a formé de nombreux docteurs africains et accueilli de nombreux fonctionnaires dans le programme « gestion de politique économique ». C’est un programme créé il y a environ 20 ans pour former des dirigeants, principalement africains, à l’analyse et à l’évaluation des politiques économiques ; il y a maintenant 700 à 800 anciens auditeurs qui forment un réseau et un capital social extraordinaires. Il y a beaucoup d’anciens ministres, de hauts fonctionnaires... C’est un capital social créé par la confiance, avec des relations humaines très fortes.

SG : Dans ce capital social, il faut aussi souligner le rôle du « magistère de développement économique ». Nous avons formé de très nombreux  étudiants remarquables qui occupent maintenant des postes très importants  dans les organismes de développement. 

PG : Quand nous allons en Afrique nous sommes toujours très bien  accueillis. Il y a toujours d’anciens étudiants qui se retrouvent pour une  petite fête, un petit cocktail...Dès que vous êtes chercheurs au CERDI, vous  bénéficiez de cette relation de confiance très utile sur le terrain. L’autre capital social se situe dans les relations internationales. On avait pour ambition d’avoir une voix comparable au Center for Global Development. C’est le premier think tank américain qui est un peu un modèle pour nous. Naturellement, ses experts n’ont pas nécessairement les  mêmes idées que nous. Nous, nous voulons exprimer une voix européenne.  Nous avons donc noué des contacts avec ce centre et nous préparons un  événement avec eux en vue du grand sommet sur le financement des économies africaines voulu par le Président Emmanuel Macron.

C’est important de travailler avec les institutions internationales pour faire entendre sa voix. Dans les années 70, on a d’ailleurs eu une difficulté de positionnement. La Banque mondiale était omniprésente et très influente. Beaucoup de docteurs du CERDI ont pu y être recrutés. Mais certains nous disaient : « le CERDI, c’est la Banque mondiale ».

Absolument pas ! C’était faux !

Mais il fallait bien qu’on se connaisse pour créer un dialogue et faire passer nos idées. Ce n’est pas en les ignorant qu’on peut mieux les comprendre et les influencer. On a donc fait le choix d’avoir des relations très étroites avec les institutions internationales. D’abord parce que c’était intéressant pour placer nos étudiants, mais aussi pour être entendus. A l’époque, un ami français qui était à la Banque mondiale m’avait dit qu’il fallait avoir fait une thèse aux États-Unis pour entrer dans les grandes institutions internationales. Je ne sais pas si nous avons fait le compte mais depuis de très nombreux anciens étudiants du CERDI sont entrés à la Banque mondiale et au FMI ! Et puis, au fil du temps, le CERDI est devenu, notamment pour les étudiants francophones, la voie royale pour entrer au FMI. On a su garder ce dialogue, comprendre les modes de fonctionnement de ces institutions et faire de la recherche appliquée. Si on veut être influent, il faut être reconnu. Si on reste dans sa tour d’ivoire en disant que tous les autres sont des imbéciles, ça ne marche pas.

SG : Cette position était parfois difficile à tenir, car le climat en France était souvent à la défiance. Il y avait des a priori anti-Banque mondiale.

C’est aussi avec cet état d’esprit que vous avez développé la Ferdi ?

PG : Au tournant des années 2000, on s’est demandé comment renforcer et pérenniser le CERDI. Le mettre à l’abri de possibles turbulences universitaires. C’est très long de construire une institution comme le CERDI. Il a fallu des dizaines d’années. Pour assurer sa pérennité, on a décidé de créer une fondation reconnue d’utilité publique, qui a la personnalité morale et est indépendante. Il a fallu du temps et la Ferdi a été créée en 2003. A l’époque, le Ministère de l’Éducation était assez hostile aux fondations universitaires. Cela a changé par la suite. Dans les statuts de la fondation, il a fallu la déconnecter du CERDI. Son rôle a alors évolué pour devenir celui d’un think tank, ayant une vocation plus large. Ce rôle a été conforté par un soutien de l’Etat donné conjointement à un autre think tank l’Iddri (que présidait à l’époque Laurence Tubiana), à travers un prêt de l’AFD à taux nul dans le cadre de ce qui a été appelé l’Initiative pour le développement et la gouvernance mondiale (IDGM). Le but était de créer un grand think tank français sur les questions de développement et d’environnement. De fait, la Ferdi disposant de ressources de base a pu avoir des collaborateurs internationaux, commander des études, avoir une place dans le débat international.

L’étape suivante s’est réalisée avec le grand emprunt, en 2009...

PG : Oui, on s’est dit : « ce serait dommage de ne pas avoir un Labex (laboratoire d’excellence) en économie du développement », qui apporterait à la fois un label et des moyens financiers. C’est ainsi qu’est née l’Initiative pour le développement et la gouvernance mondiale (IDGM+) associant le CERDI à la Ferdi et à l’Iddri.
Ce Labex, piloté par la Ferdi, a renforcé la légitimité clermontoise dans  le domaine du développement international, il est le seul en économie du  développement et il y a seulement quatre autres Labex en économie (avec Paris School of Economics, Toulouse School of Economics, Sciences Po, Aix Marseille).  On nous avait dit encore une fois que ça ne marcherait pas : « L’économie, c’est  de la science dure ». Le Labex n’est pas fait pour un think tank. Nous avons fait  le pari de lui donner comme objet de « concevoir de nouvelles politiques de  développement sur la base des résultats de la recherche ». Le jury international a  validé notre choix. Cela a constitué un tournant important, car cela a renforcé  la synergie entre la Ferdi et le CERDI, qui sont liés par des intérêts communs et  une forte amitié entre beaucoup de leurs membres. 

C’est cette base qui a rendu attractive la localisation à Clermont pour le Global Development Network (GDN), lorsque cette institution internationale consacrée au renforcement d’une recherche au Sud en sciences sociales qui soit utile à la politique économique a voulu s’installer en Europe. Le projet considéré au départ comme improbable et préparé par la Ferdi a pris forme grâce au soutien des collectivités territoriales, puis à celui de l’Etat à travers une subvention de l’Agence française de développement. Celle-ci sera maintenant d’une ampleur bien supérieure à ce qui était initialement envisagé et destinée plus largement à soutenir le pôle clermontois de développement international . Après la création du CERDI en 1976, celle de la Ferdi en 2003, le lancement de l’IDGM en 2008, l’attribution du Labex IDGM+ en 2011, c’est une nouvelle étape décisive qui s’ouvre à la fois pour la Ferdi et le CERDI. Avec la volonté de l’État d’avoir un ancrage territorial pour sa politique.

SG : On est revenu à une politique d’aménagement du territoire et c’est une chance ! Nous avons bénéficié de la volonté de l’État d’avoir un ancrage territorial pour sa politique internationale.

Avez-vous rencontré des freins ou soutiens politiques ?

PG : On a reçu beaucoup de soutien, à droite comme à gauche. Finalement nous portions une vision française et européenne. En général, nous avons été soutenus à tous les échelons (département, région, État) quelle que soit la tendance politique ! Et encore plus avec le projet GDN.

Les résultats du travail de recherche du CERDI et de la Ferdi finissent-ils par être appliqués sur le terrain ?

PG : C’est la question fondamentale. C’est même la question sur laquelle on tend à être jugé. Surtout la Ferdi en tant que think tank. On nous demande : « quel est votre impact ? ». Pour cela nous avons un comité annuel de suivi de l’IDGM. Du côté des chercheurs, on sait qu’on a écrit tant d’articles, on a monté tant d’événements scientifiques et de colloques, on a été cité tant de fois, etc. Ce sont des signes d’influence intellectuelle. Plus les idées se diffusent sur un plan scientifique, plus elles peuvent percoler dans le domaine public et avoir un impact sur la politique. Pour la Ferdi, il y a quelques points sur lesquels elle peut revendiquer une influence politique plus directe. Par exemple, on travaille depuis 10 ans sur la réforme des critères d’allocation des institutions multilatérales qui font des dons ou des prêts concessionnels aux pays en développement. Ces institutions utilisent des formules mathématiques d’allocation qui donnent un poids considérable à la performance des pays en matière de politique économique, qui relève d’un jugement un peu subjectif.

Mais il faut tenir compte aussi de la pauvreté des pays et de leur vulnérabilité dans les critères d’allocation. Un de nos combats majeurs a été de faire prendre en compte la vulnérabilité dans les critères d’allocation des fonds concessionnels. C’est un long combat sur lequel nous avons eu des victoires et quelques échecs. Si vous regardez le modèle d’allocation du Fonds européen de développement de Bruxelles, vous verrez clairement que la formule utilisée est celle recommandée par la Ferdi. Et elle comporte la vulnérabilité !

A l’époque, le commissaire au développement m’a dit : « ça m’intéresse », il m’a demandé de le conseiller sur le sujet et il a convaincu ses services d’adopter la réforme proposée. C’est un choix politique transparent. Dans ce cas, on a réussi à faire valoir notre idée de vulnérabilité. On a failli y arriver avec la Banque africaine de développement, on était presque à la fin du processus, mais il y a eu une réticence de certains actionnaires et du management, mais cette réforme reste à l’ordre du jour. L’influence en ce domaine est claire aussi quand on travaille avec le Secrétariat du Commonwealth pour établir l’indicateur de vulnérabilité universel qu’il veut promouvoir. Je crois qu’on a vraiment eu une influence concrète sur la prise en compte de la vulnérabilité par diverses institutions de développement. J’ai également travaillé à faire valoir l’importance de la vulnérabilité lors de la préparation de l’Agenda 2030 aux Nations Unies. Cette notion de vulnérabilité s’est diffusée largement et nous n’y  sommes pas pour rien ! Il n’y a certes pas que la Ferdi en ce domaine, mais sur le  point précis des critères d’allocation de l’aide, la Ferdi a vraiment eu un impact  identifiable, jusqu’à influencer une résolution aux Nations Unies ! Il y a bien  d’autres exemples concrets, parfois plus informels. Par exemple sur les politiques  monétaires africaines, sur ce que l’on appelait « la zone franc », nous avons  beaucoup écrit et parlé et là aussi de nombreuses idées développées à la Ferdi sont passées dans des réformes visant à promouvoir une meilleure confiance, une meilleure africanisation du système, et à créer moins de dépendance. 

Vous avez aussi longtemps travaillé sur la question des PMA (Pays les moins avancés) ?

PG : Les PMA c’est une notion qui a beaucoup joué dans le développement de la Ferdi. Les PMA sont en majorité des pays africains. Tous les pays africains ne sont pas des PMA mais la majorité est en Afrique. J’ai eu la chance d’être pendant plus de 20 ans membre du Comité des politiques de développement des Nations Unies (CDP). C’est un groupe d’une vingtaine de personnalités, anciens ministres, universitaires ou chercheurs, ONG, venant de toutes les régions du monde, qui représentent une communauté intellectuelle et apportent un appui technique de haut niveau à l’ECOSOC (Conseil économique et social des Nations Unies). Ce comité avait notamment pour rôle d’identifier les PMA, afin d’inclure de nouveaux pays dans la catégorie ou préparer la sortie d’autres. Je me suis passionné pour le cas de ces pays et j’ai présidé le groupe d’identification du CDP, ce qui m’a notamment amené à y pousser l’attention portée à leur vulnérabilité. Les PMA sont en effet identifiés maintenant comme étant des pays à faible revenu, faible capital humain et à forte vulnérabilité. J’ai aussi tiré de cette expérience deux ouvrages publiés à 10 ans d’intervalle l’un sur les fondements de la catégorie des PMA, l’autre sur son impact sur les pays qui en sont membres. De plus, le suivi des politiques mises en oeuvre pour les PMA est devenu un important programme de la Ferdi, mené en coopération d’autres centres de réflexion internationaux, en vue d’avoir une influence sur les grandes réunions internationales portant sur ces pays.

SG : En matière de politique fiscale, on a énormément travaillé et cela a donné des réformes importantes en Afrique. Ça prend toujours beaucoup de temps, il faut de la ténacité et de la persévérance pour que les idées politiques évoluent et qu’elles soient ensuite appliquées. Il ne faut pas craindre de répéter les choses.

PG : La Ferdi a également beaucoup collaboré avec les unions économiques régionales en Afrique, en particulier en Afrique de l’Ouest et Afrique centrale où il y a dans les deux cas une union économique et monétaire. On a eu des partenariats avec elles sur des points importants. Par exemple, en Afrique centrale (la Cemac) où il y a une tentative de coordination des politiques économiques entre les pays, on a élaboré une réforme des critères de surveillance multilatérale, qui introduit un élément de contracyclicité. C’était un projet très interactif avec de nombreux collaborateurs. La réforme a été adoptée et même saluée par le Fonds
monétaire international (FMI).

L’économie a-t-elle amélioré la situation des pays les plus pauvres ?

Vous touchez la un autre point important. Si nous avons choisi de faire de l’économie du développement, c’est bien en pensant qu’il était possible de faire évoluer les choses, de promouvoir de meilleures politiques et institutions. Au fond, j’espère qu’on a pu contribuer un peu a améliorer les choses.

SG : Il y a une grande question a l’heure actuelle c’est l’environnement. Tout le monde est favorable a des politiques qui prennent soin de l’environnement mais le problème ne se pose pas de la même manière pour les pays les plus pauvres. Il ne faut pas oublier que l’aide au développement c’est avant tout pour lutter contre la pauvreté et pas seulement pour diminuer le CO2. Bien sur, il faut rechercher des solutions qui combinent les deux. Mais au prétexte de la réduction du CO2 au niveau mondial, il ne faut pas non plus empêcher les pays pauvres d’accroître leurs revenus. Il y a des travaux a faire qui sont passionnants pour combiner ces deux exigences.

Justement, quelle est l’évolution de la situation africaine ?

PG : L’idée que l’Afrique n’a pas avancé est une idée totalement fausse. Depuis plus de 50 ans que nous voyageons en Afrique nous avons vu des changements énormes. Et, contrairement à ce que certains disent souvent, même dans la gouvernance des pays. Ne serait-ce ces 700 à 800 fonctionnaires en poste qui sont passés par le CERDI et la Ferdi, même s’ils constituent qu’un petit nombre, je suis sur qu’ils ont eu un impact positif sur la gestion de leurs pays. Il y a eu des changements considérables dans la qualité de l’administration. L’Afrique a aussi connu une forte croissance économique. Les principaux indicateurs de développement social se sont améliorés comme la mortalité, l’éducation... Même si l’on peut encore beaucoup améliorer les choses, les tendances lourdes sont des tendances positives. Toutefois, il reste des facteurs de vulnérabilité ou de fragilité qui sont considérables à la fois sur les plans économique, climatique et socio-politique. Ce sont les trois dimensions dans lesquelles la vulnérabilité doit être saisie. Ces facteurs-là sont encore très importants en Afrique avec une vulnérabilité économique forte, le problème du prix des matières premières, le prix des produits importes, la dépendance énergétique, la monoproduction... Il y a une vulnérabilité au changement climatique qui est également très forte entre les zones arides et celles qui seront demain inondables. La fragilité politique reste elle aussi majeure en Afrique, avec les risques terroristes. Elle existe certes dans d’autres parties du monde comme en Birmanie actuellement ou au Venezuela. Mais il reste une fragilité politique très profonde en Afrique.

SG : Le risque jihadiste est une nouvelle grande menace.

PG : Avant l’arrivée du Covid-19, l’Afrique de l’Ouest francophone était la zone dans le monde avec la plus forte croissance a l’exception de quelques pays asiatiques. Les pays affichaient 5 à 6% de croissance par an. Cela peut ne pas paraitre énorme mais c’était un grand changement par rapport à la longue période de stagnation dans les années 1970/1980. Il y avait vraiment à la veille de la pandémie des changements majeurs qui étaient en cours. Il y a surtout une nouvelle élite africaine, complétée par la diaspora, une capacité africaine de développement qui est considérable.