Une coupe de cheveux est plus onéreuse aux Etats-Unis qu’au Mali. Pourtant, cela ne signifie pas que les coiffeurs maliens sont moins productifs ou moins compétents. Ce surcoût est tout simplement lié au fait que les biens internationalement échangeables bénéficient d’une plus grande productivité aux Etats-Unis qu’au Mali. Cet écart se répercute sur les prix et les salaires de biens non échangeables – il devient alors indispensable de chercher à réguler cet écart, à égaliser le prix des biens et tenir compte des écarts internationaux de productivité sur les biens échangeables. C’est précisément cette régulation – via le taux de change réel – qui peut influencer le développement du secteur manufacturier et sa contribution à la valeur ajoutée.
Méthodologie et hypothèses
Dans notre étude, nous analysons la relation entre la part manufacturière dans le PIB et les déséquilibres qui peuvent exister au niveau du taux de change réel. Le critère de la parité de pouvoir d'achat (PPA)1 est retenu. L’étude est menée sur un échantillon de 102 économies en développement et en transition sur la période (2003-2019), en utilisant un modèle de panel dynamique à seuil. Les rentes des ressources naturelles sont soustraites du PIB lorsque les mésalignements sont ajustés pour tenir compte du niveau de productivité de chaque pays2.
L’hypothèse est que ces rentes exagèrent la productivité intérieure et par suite, le niveau de rémunération compatible avec le développement du secteur manufacturier. Nous séparons l'impact des composantes de sous-évaluation et de surévaluation de la monnaie dans la même régression économétrique. La surévaluation a un effet linéaire négatif sur la part du secteur manufacturier. En revanche, la sous-évaluation stimule la part manufacturière mais de manière non linéaire3 . Au-delà d'un seuil de 18%, l'effet marginal de la sous-évaluation diminue fortement.
La relance des activités manufacturières
La désindustrialisation précoce des pays en développement inquiète. C’est en effet une préoccupation majeure pour des pays qui aspirent à l’émergence économique, au rattrapage du niveau de richesse par habitant des pays développés. La forte croissance de la population active les oblige pourtant à créer des emplois qui ne peuvent être le seul fait des services. Si le secteur manufacturier doit aider à cet objectif économique et social, la contraction de sa part dans le PIB montre qu’il n’en a rien été jusqu’ici.
Pour un courant de littérature, une sous-évaluation durable de la monnaie-i.e. réduction des coûts de production par une monnaie cotée en deçà de son niveau d’équilibre de parité des pouvoir d’achat, serait un instrument propice à la relance de ces activités internationalement échangeables. La surévaluation serait, en revanche, un frein à la diversification des productions et à la croissance économique, car suscitant des coûts de production rédhibitoires.
Notre article innove de deux manières.
1. Tenir compte de la présence de rentes dans la mesure de la productivité
La première innovation est de proposer des évaluations de mésalignements corrigées du biais de productivité de Balassa-Samuelson, mais après avoir soustrait les rentes du PIB. Ces rentes conduisent en effet à surestimer la productivité apparente mesurée par le PIB par tête. Elles suscitent des niveaux de revenus internes qui ne reflètent pas la productivité et par suite, la rémunération des facteurs de production compatible avec la vive concurrence que connaissent les biens manufacturés. Ce faisant, les rentes sont un élément de désincitation à produire ces biens.
2. Quelles implications pour les décideurs ?
Une autre innovation de l’article consiste à tester, dans la même régression, des effets de seuil, autrement dit, des non linéarités sur les niveaux de surévaluation et de sous-évaluation des monnaies. Cette analyse économétrique est menée sur un échantillon de 102 pays en développement ou en transition considérés sur la période 2003-2019. Pour identifier le rôle spécifique des mésalignements, un modèle dynamique à deux seuils est utilisé. Il permet de tester simultanément la présence de seuils non déterminés a priori aussi bien sur la sous-évaluation et que sur la surévaluation.
Les résultats ne rejettent pas l’hypothèse de l’effet négatif et linéaire de la surévaluation. Une monnaie dont le taux de change officiel est trop élevé a pour conséquence de dissuader la production de biens manufacturés. En revanche, un seuil existe pour la sous-évaluation. Jusqu’à 18%, elle induit un effet favorable à la dynamique manufacturière. Au-delà, le coefficient marginal de la variable est quasiment divisé par deux.
Une politique active du taux de change est donc un instrument utile pour le changement sectoriel de l’économie et sa diversification. Son efficacité, qui n’est pas exclusive de l’usage d’instruments de politique économique alternatifs, doit toutefois être considérée en relation avec sa non linéarité.
Référence de l'article publié
Chaffai, M et P, Plane (2024). “Manufacturing and the real exchange rate: natural resource rents matter when measuring misalignments”, Applied economics, 1–21.
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1 Taux de conversion monétaire qui permet d'égaliser les pouvoirs d'achat des différentes monnaies en éliminant les différences de niveaux des prix entre pays (définition de l’OCDE).
2 Les rentes sont exprimées par l’écart de prix entre le coût marginal ou moyen de production et le prix de commercialisation du produit. A titre d’exemple, le pétrole échangé représente souvent moins de 50% de son prix de vente.
3 On parle de non-linéarité lorsque les effets d’un phénomène ne se produisent pas de façon directement proportionnelle à l’action.
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