La migration des parents et l’éducation des enfants cambodgiens

Publié le 24 novembre 2021 Mis à jour le 19 novembre 2021
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le 24 novembre 2021

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La migration des parents et l’éducation des enfants cambodgiens


La migration des parents peut influencer la scolarité des enfants qu’ils laissent derrière eux, par deux canaux : une moindre surveillance et un investissement réduit des parents dans l’éducation des enfants d’une part, et d’autre part, des ressources générées par la migration qui peuvent être investies dans l’éducation des enfants. Nous analysons cette relation pour les enfants cambodgiens qui résident dans les zones rurales du pays.

L’investissement dans la migration, domestique ou internationale, peut donner lieu à de longues périodes de séparation entre les parents qui migrent et les enfants restés dans le lieu d’origine. La littérature économique, mais plus largement en sciences sociales et en psychologie, s’est souvent intéressée aux implications de la migration d’un ou de deux parents sur les enfants. Les chercheurs se sont notamment intéressés aux effets de la migration sur la scolarisation des enfants, en mettant en évidence les deux effets principaux qui jouent dans des directions opposées, et dont l’effet total est ambigu. D’un côté, les ressources générées par l’investissement dans la migration et partagées, via l’envoi de fonds, avec les membres du ménage ou de la famille qui n’ont pas migrés, y compris les enfants des migrants, devraient avoir un effet positif. D’un autre côté, la réduction du temps que les parents migrants peuvent allouer à la surveillance et à l’accompagnement du parcours éducatif de leurs enfants, ainsi que les possibles difficultés psychologiques des enfants qui sont séparés de leurs parents, pourraient contrer les effets positifs des transferts de migrants.

Nous examinons ces effets dans le contexte du Cambodge, en particulier dans les zones rurales du pays. Le Cambodge connait des migrations de plus en importantes des campagnes vers des pays voisins (notamment la Thaïlande) et des villes cambodgiennes, car les opportunités d’emploi en dehors du secteur agricole se développent. Différents ministères, ainsi que des organisations internationales comme l’UNICEF, ont récemment exprimés leur inquiétude concernant les possibles effets négatifs des migrations des parents sur les enfants qui restent dans les villages d’origine.

Nous utilisons les données issues de deux vagues d’une enquête de ménages conduite par le Cambodia Development Research Institute en 2014 et en 2017. L’analyse économétrique révèle que les enfants dont les parents migrent reçoivent un nombre d’années d’éducation significativement inférieur à celui reçu par les enfants qui vivent avec leurs parents, et que cet effet est persistant dans le temps.

La menace principale pour toute étude des effets de la migration réside dans l’auto-sélection des migrants. Des variables qui sont inobservées par l’économètre, peuvent influencer à la fois la décision de migrer et la scolarisation des enfants. Par exemple, des parents ayant un plus faible intérêt pour l’éducation de leurs enfants pourraient avoir une plus forte propension à migrer. Dans ce cas, l’effet estimé pourrait être dû, non pas à la migration des parents mais à leur plus faible engagement dans la scolarisation de leurs enfants. La dimension longitudinale des données nous permet de faire un test placebo pour comprendre si à un tel risque est présent ou pas. Plus précisément, nous testons si l’exposition future au traitement, en 2017, produit un impact sur la scolarisation des enfants en 2014. Il s’avère que l’exposition à la migration en 2017 pour les enfants qui n’étaient pas exposés à la migration en 2014, n’est pas corrélée avec la scolarisation en 2014. Cela nous permet donc d’écarter toute menace qui viendrait d’une auto-sélection des parents migrants.

L’analyse des données révèle aussi que le plus faible nombre d’années de scolarisation des enfants dont les parents migrent, n’est pas lié à une hausse de leur temps de travail, mais plutôt à une réduction de l’investissement de leurs parents dans l’éducation. L’effet négatif de cette baisse est probablement renforcé quand les enfants sont confiés aux grands-parents, dont le faible niveau d’éducation, voir le fait d’être illettrés, rend, difficile l’accompagnement scolaire de leurs petits-enfants.