Dépenses militaires : quel impact sur les conflits armés en Afrique subsaharienne ?
Zoom sur la recherche
Idrissa Aladji AYA
Doctorant en économie du développement
CERDI-UCA-CNRS-IRD
Cette recherche se concentre sur le défi sécuritaire auquel sont confrontés les pays d’Afrique subsaharienne. Depuis 2000, ces pays ont connu une augmentation substantielle des dépenses militaires, principalement en raison de conflits armés persistants et intenses. Les conflits entravent le développement socio-économique et risquent de créer des cercles vicieux d’instabilité, ce qui finirait par alourdir le fardeau des finances publiques. L’étude analyse la relation entre les dépenses militaires et l’intensité du conflit armé. Pour répondre à la question de recherche, nous posons l’hypothèse de base suivante : une hausse des dépenses militaires à la marge devrait réduire l’intensité des conflits armés, compte tenu de l’effet dissuasif de ces dépenses. En utilisant un modèle de probit dynamique, nous trouvons que les dépenses militaires réduisent l’intensité des conflits armés en Afrique subsaharienne.
L’insécurité en Afrique subsaharienne : un frein au développement
Au cours des dernières décennies, le continent africain a été caractérisé par une insécurité croissante et des menaces de groupes rebelles, terroristes et djihadistes. Cette situation de fragilité est beaucoup plus prononcée dans les pays d’Afrique subsaharienne, touchés par de nombreuses attaques et menaces de la part de groupes armés. L’insécurité représente un obstacle à toutes les perspectives de développement socio-économique (World Bank, 2017). Elle entrave la circulation des biens et des personnes, entraînant un ralentissement de l’activité économique. De façon générale, une situation conflictuelle affecte négativement les agrégats macro-économiques ; cet effet négatif est plus visible sur la croissance du PIB.
Pourquoi analyser les dépenses militaires en Afrique subsaharienne ?
L’intérêt économique d’analyser l’efficacité des dépenses militaires est le suivant : dans la mesure où ces dépenses militaires évincent les dépenses d’investissements publics, l’inefficacité des dépenses militaires dans la réduction des conflits pourrait être une double peine pour un État. Non seulement elles pèsent d’autant plus sur les finances publiques des pays africains, qui sont déjà très dépendants des financements externes, mais elles entraînent aussi un faible niveau de financement des autres dépenses publiques susceptibles de réduire les risques de conflits, in fine l’intensité des conflits armés.
Notre étude analyse la relation entre les dépenses militaires et l’intensité du conflit armé. Pour répondre à la question de recherche, nous posons l’hypothèse de base suivante : une hausse des dépenses militaires à la marge devrait réduire l’intensité des conflits armés, compte tenu de l’effet dissuasif de ces dépenses. Cette hypothèse se base sur la fonction de la demande des dépenses militaires. La sécurité est un bien public ; l’Etat, dans sa fonction régalienne, dépense davantage en situation d'insécurité pour maximiser le bien-être collectif sous contrainte des ressources de financement.
Analyse et contributions à la littérature
Dans la littérature économique, parmi les travaux majeurs qui analysent la relation entre les dépenses militaires et les conflits, nous pouvons citer ceux de Collier et Hoeffler (2002) et de Phillips, (2015). Collier et Hoeffler, (2002) concluent que l'efficacité des dépenses militaires dépend de la période. Elles s’avèrent particulièrement efficaces en période de conflits actifs, contrairement à une période de risque de conflits. Les dépenses militaires peuvent être qualifiées de mal public quand elles n’ont pas d’effet dissuasif sur le risque de conflits. Les dépenses militaires peuvent être inefficaces à cause du phénomène de course aux armements. En faisant abstraction de la course aux armements et dans un contexte de pays en développement, Phillips (2015) trouve que les conflits sont associés positivement aux niveaux de dépenses militaires. L’effet des dépenses militaires sur les conflits est conditionné par son ampleur.
Cette étude apporte plusieurs contributions importantes à la littérature existante tant sur le plan analytique que sur le plan méthodologique. Premièrement, elle contribue à la littérature par la prise en compte de la persistance de l’intensité des conflits armés à travers un modèle probit dynamique. La prise en compte du modèle dynamique permet d’examiner l’hétérogénéité entre les pays en termes de différences initiales du niveau de l’intensité de conflits armés. Deuxièmement, l’étude apporte une contribution à la littérature en mettant en évidence empiriquement les canaux par lesquels les dépenses militaires affectent l’efficacité des conflits armés. Enfin, de façon générale, l’étude contribue également à la littérature sur les déterminants des conflits armés. Les preuves empiriques sur les déterminants tels que : la fractionalisation sociale, les inégalités de revenus, la pauvreté, les chocs climatiques, les ressources naturelles sont disponibles dans la littérature. L’étude met en évidence les tensions ethniques et religieuses comme déterminants des conflits armés en Afrique subsaharienne.
Bilan de notre étude : les dépenses militaires diminuent l’ampleur des conflits
Entre 2000 et 2020, les conflits armés intenses dans la région ont fait en moyenne 597 morts. Quant aux dépenses militaires, elles représentent en moyenne 2,7 du PIB en Afrique subsaharienne.
Nous démontrons que les dépenses militaires réduisent l’intensité des conflits, en moyenne, une augmentation 1% du ratio des dépenses militaires/PIB diminue la probabilité de l’intensité des conflits armés de 0.012 points de pourcentage. Elles réduisent considérablement les conflits de faible intensité, plus que les conflits de forte intensité. Nous trouvons également que ce phénomène se produit dans les pays touchés par les conflits ; dans les pays sans conflits, il a tendance à réduire le risque de conflits.
L’analyse des canaux de transmission montre que les dépenses militaires influent sur l’intensité des conflits principalement par le biais des capacités militaires. Des institutions fortes sont essentielles pour garantir l’efficacité des dépenses militaires.
En ce qui concerne les déterminants des conflits armés (le faible niveau de développement, la pauvreté, les inégalités, les chocs climatiques, les tensions religieuses et les tensions ethniques) ils jouent un rôle très important dans l’explication des conflits armés en Afrique subsaharienne.
Recommandations
Dans un premier temps, cette étude préconise un bon équilibre entre les dépenses militaires et les dépenses d’investissement afin d’assurer la continuité des projets de développement. Cela permet de lutter contre les principaux déterminants des conflits, tels que la pauvreté et le chômage, en Afrique subsaharienne. Deuxièmement, au-delà des dépenses militaires, l’amélioration des conditions socio-économiques, une forte résilience aux conséquences du changement climatique et un cadre politique et institutionnel stable pourraient réduire les activités de conflit armé.
Référence de l’article
Idrissa Aladji AYA, Effectiveness of military spending in reducing the intensity of armed conflict in Sub-Saharan Africa, Oxford Economic Papers, 2024, gpae044.
Références
Collier, P. et Hoeffler, A. (2002b). Military Expenditure : Threats, Aid, and Arms Races. SSRN Scholarly Paper ID 636289, Social Science Research Network, Rochester, NY.
Phillips, B. J. (2015). Civil war, spillover and neighbors’ military spending. Conflict Management and Peace Science, 32(4):425–442. Publisher : SAGE Publications Ltd.
World Bank (2017). Rapport annuel.