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INTERVIEW : Catherine Araujo-Bonjean « Une formidable ouverture sur le monde »

Publié le 18 mars 2022 Mis à jour le 24 mars 2022
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le 18 mars 2022

Entretien avec Catherine Araujo-Bonjean, responsable du programme GPE. Elle fait rayonner le Cerdi en France et à l'étranger en animant le réseau Cerdi Alumni.

INTERVIEW Catherine Araujo-Bonjean : « Une formidable ouverture sur le monde »

Qu’est-ce qui vous a entraîné à étudier l’économie au CERDI ?

Je suis l’Auvergnate du CERDI ! J’ai grandi à Clermont-Ferrand et je suis entrée au CERDI pour faire de l’économie du développement. En réalité, plus que l’économie, c’est la perspective de pouvoir aller sur le terrain africain qui m’a motivée. Ça correspondait à des rêves d’enfance.

Ma thèse portait sur la formation des prix payés aux producteurs de café, cacao et de thé. Je suis entrée dans le monde des matières premières par l’amont, le côté production. Ça m’a donné l’occasion d’aller à Madagascar, en Côte d’Ivoire, au Kenya. Ce monde des matières premières est passionnant. C’est un monde de booms, de cracks, de faillites, de scandales, de fortune pour les uns et de grande pauvreté pour les autres. Le cacao, le chocolat, le coton, c’est envoûtant et passionnant.

Je continue à travailler sur les questions agricoles mais en élargissant la focale aux systèmes alimentaires en lien avec le changement climatique. La réponse aux défis économiques, sociaux et environnementaux auxquels sont confrontées les agricultures du monde, et que je pourrais résumer par : produire plus et mieux pour nourrir une population croissante tout en préservant les ressources naturelles, est à rechercher non seulement du côté de l’offre mais aussi de la demande, de la transformation et de la commercialisation des produits agricoles.

Qu’auriez-vous pu faire en dehors du CERDI ?

Je ne me suis jamais posée cette question. Pour certains le CERDI est un tremplin pour un engagement professionnel au service du développement international, ou local, dans le monde de l’entreprise, de la banque, de la finance, ou le monde associatif. Pour moi, le CERDI est la porte sur l’Afrique mais aussi sur l’Amérique latine et l’Asie. Comme dans la série TV, quand je passe la porte du CERDI je suis téléportée à Bamako, Abidjan, Dakar ou Manaus, et le soir je rentre à la maison ! Il arrive aussi que je ne trouve plus la porte de retour et que mes recherches envahissent tout, ça fait partie du métier de chercheur.

Quel est l’intérêt pour le CERDI d’être à Clermont-Ferrand ?

Le CERDI a un fort ancrage clermontois et le revendique, ça fait partie de son identité. Pour parodier Alexandre Vialatte, je dirais que l’économie du développement est chez elle à Clermont-Ferrand. Comme la manufacture Michelin est à Clermont-Ferrand, le CERDI ne pouvait pas être ailleurs parce qu’à la base c’est une aventure humaine. En l’occurrence, le CERDI est l’histoire de deux professeurs d’économie : Patrick, un auvergnat, et Sylviane Guillaumont. Ils ont fondé le CERDI en 1976, à Clermont. C’était la première unité mixte de recherche, entre le CNRS et une université française, dédiée à l’économie du développement. Nous fêtons les 45 ans cette année, peut-être sur Zoom avec du Champagne virtuel. 45 ans c’est un bel âge pour un laboratoire de recherche, ce n’est pas commun. J’espère que mes successeurs fêteront le centenaire.

Quels sont les avantages du CERDI ?

J’en vois deux principaux. D’abord, la large palette des spécialités couvertes par les chercheurs du CERDI, de la macro à la microéconomie en passant par l’économie internationale, l’économie monétaire et financière, l’économie de l’environnement, de la santé … et, bien sûr, l’économie agricole. Cette diversité de compétences au sein d’un même laboratoire est un atout, et un facteur important d’enrichissement des travaux des uns et des autres.

Ensuite, le lien très étroit entre la recherche et l’enseignement. Tous les enseignants-chercheurs de l’École d’économie de l’université Clermont Auvergne sont membres du CERDI. Inversement, la quasi-totalité des chercheurs du CERDI interviennent dans les formations de l’École d’économie : le magistère d’économie du développement et les masters spécialisés en économie du développement. Il en résulte un processus de fertilisation croisée enseignement-recherche, profitable aux jeunes en cours de formation et facteur d’innovation dans la recherche portée par les jeunes esprits curieux.

D’où sont issus les étudiants ?

Nos étudiants viennent de Clermont-Ferrand et d’un peu partout en France. Beaucoup viennent de classes préparatoires aux grandes écoles, notamment des prépas ENS Cachan de Rennes, Paris, Toulouse, Lyon, Montpellier etc. Ils arrivent en licence 3 et restent jusqu’à la fin de leur master, voire jusqu’en thèse pour certains. Un grand nombre d’étudiants viennent aussi de pays en développement. Nous avons une demande très forte de jeunes venus de pays africains pour intégrer nos formations dès la L3.

Nous accueillons aussi, en formation continue, des cadres des administrations des pays du Sud, venus préparer à Clermont un master en Gestion de la politique économique (GPE) dont je suis l’actuelle responsable. Ce programme de formation a été labellisé « Partner Program » par le Gouvernement japonais et la Banque mondiale, qui le soutiennent depuis sa création en 1994. Il bénéficie également du soutien du Ministère français de l’Europe et des Affaires étrangères. C’est l’une des principales formations françaises en matière de renforcement des capacités des cadres publics économistes des pays en développement, en particulier des pays francophones d’Afrique subsaharienne.

Dans cette aventure, quels sont les regrets, les réussites, les surprises ?

Des regrets, aucun. Au moins 16 réussites et bientôt 3 de plus : des thésards ayant soutenu leur thèse et aujourd’hui en poste à la Banque mondiale, l’AFD, l’INRAE, l’IFPRI notamment. Des surprises : tous les jours !

Vos travaux influencent les décisions ?

L’Auvergnat se caractérise par sa modestie ce qui m’empêche de répondre à votre question. Plus sérieusement, l’essentiel des recherches conduites au CERDI sont des recherches appliquées. Donc, effectivement, un de nos objectifs est de contribuer à l’élaboration des politiques publiques.

Néanmoins, il est difficile de dire dans quelle mesure mes recherches ont pu contribuer à faire évoluer les choix publics. Parfois on a raison trop tôt, c’était le cas d’un travail sur la fiscalité agricole, qui n’a pas eu beaucoup d’audience à l’époque de sa publication et qui aujourd’hui revient à la mode. Parfois, des travaux restés à l’état de working paper sont repris par d’autres et nous échappent totalement ; c’est le cas d’une recherche sur les droits de propriété fonciers en Amazonie brésilienne. Dans d’autres cas, les résultats ne sont pas audibles, car contraires aux attentes, et finissent directement à la poubelle !