Variations sans mesure : le cas de l'extrême pauvreté mondiale durant les OMD

Publié le 16 novembre 2021 Mis à jour le 18 novembre 2021
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le 16 novembre 2021

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Variations sans mesure : le cas de l'extrême pauvreté mondiale durant les OMD


Les techniques de dominance stochastiques peuvent être employées pour comparer des variations des niveaux de pauvreté ou apprécier leur variation relative, sans référence à un indicateur ou à une ligne de pauvreté précise. L'étude montre ainsi, qu'entre 2002-2012, la pauvreté a été réduite d'au moins 50% au niveau mondial, quelle que soit la manière retenue pour apprécier le degré de pauvreté à l'échelle de la planète.
 

La mesure la plus simple du degré de pauvreté d'une population est son incidence. L'emploi de cet indice est pourtant discutable car il ne prend pas en compte la diversité des situations de pauvreté individuelles. Or, on considère (Sen, 1976) qu'une bonne mesure de pauvreté doit intégrer, en plus de l'incidence, des informations sur la sévérité des formes de pauvreté et leur distribution dans la population étudiée afin d'éviter certains biais politiques. Ainsi, il est raisonnable de penser qu'une évaluation du niveau de pauvreté doive accorder un poids plus important à une personne pauvre vivant avec 1$ par jour, qu'à une autre vivant avec 2$ par jour. S'il y a peu de doute sur le fait qu'un tel principe fasse l'objet d'un consensus, il est néanmoins facile d'imaginer la diversité des points de vue sur le poids relatif à accorder à ces deux individus. La littérature économique est riche de nombreux indices qui apportent chacun une réponse différente sur ce point. De fait, il existe une incertitude fondamentale sur le système de pondération à adopter pour apprécier le degré de pauvreté dans une population.

Une autre incertitude fondamentale, bien connue dans l'évaluation du niveau de pauvreté, concerne le choix du seuil de revenus en deçà duquel les individus sont considérés comme pauvres. La diversité des approches utilisables pour définir un tel seuil, ainsi que l'hétérogénéité des sensibilités individuelles sur ce que sont des conditions de vies minimales pour vivre une vie décente, rendent toujours arbitraire le choix d'une valeur particulière pour la ligne de pauvreté.

En 1999, la communauté internationale s'engageait, avec les Objectifs du Millénaire pour le Développement (OMD), dans un effort coordonné sans précédent pour améliorer les conditions de vies de la population des pays en développement, et notamment des plus pauvres. En tête de ces objectifs figurait celui de réduction de moitié de la pauvreté entre 1990 et 2015. Évidemment cet objectif quantitatif a été défini en référence à un indicateur précis (l'incidence de pauvreté) et à une ligne de pauvreté précise (1,25$ par jour et par personne en PPA base 2005). Les évaluations réalisées au niveau global par la Banque Mondiale montrent un succès indéniable sur ce point avec une baisse considérable de plus de 70% de l'incidence de pauvreté sur cette période (10,1% en 2015 contre 36,2% en 1990). On peut néanmoins se demander si un tel résultat se retrouve avec d’autres indices et d'autres lignes de pauvreté.

Depuis Atkinson (1987), on sait classer, en termes de pauvreté, des distributions de revenus sans référence à une mesure précise et pour un intervalle complet de lignes de pauvreté, en s'appuyant sur les techniques de dominance stochastique. Celles-ci n'avaient néanmoins jamais été employées pour comparer des variations de pauvreté ou apprécier une variation relative. Dans notre étude, nous démontrons que cela est possible dès lors que l'on accepte le principe d'une mesure de pauvreté qui soit une moyenne des niveaux individuels de pauvreté d'une population. Sur la base de distributions de revenus pour 109 pays correspondant à plus de 80% de la population mondiale, nous montrons que, durant la période 2002-2012, la progression des revenus des plus pauvres au niveau mondial a bien permis de réduire de plus de moitié le degré d'extrême pauvreté dans le monde, quelle que soit la manière d'évaluer cette dernière. Plus précisément, nous estimons que la baisse sur cette période a été comprise entre 52% et 62% avec une ligne de pauvreté à 1,25$ par jour et par personne ou moins. Elle reste même supérieure à 50% en étendant jusqu'à 2,05$ ce seuil. Si la croissance en Chine a indubitablement joué un rôle majeur dans cette baisse de la pauvreté, il est intéressant de souligner que, sur cette même période, les progrès dans le reste du monde ont été suffisants pour satisfaire cet objectif global. Nos résultats individuels pour un sous-groupe de 90 pays en développement révèlent en outre que, durant la période des OMD, le rythme de réduction de la pauvreté a été conforme à un objectif global de réduction de moitié de l'extrême pauvreté dans plus de 50 d'entre eux.

Références
Atkinson, Anthony, "On the Measurement of Poverty", Econometrica 55, 749–­64, 1987.
Sen, Amartya, "Poverty: An Ordinal Approach to Measurement" , Econometrica 44, 219–­31, 1976.