Un emploi peu qualifié après la fac : frein ou tremplin ?

Michel Armel NDAYIKEZA
Lecturer, University of Burundi 
Africa Fellow in Education, Global Education Analytics Institute (GEAI) and Partnership for Economic Policy (PEP)
CERDI-UCA-CNRS-IRD

Étudier à l’université est une chance. Trouver un emploi lorsqu’on en sort est une autre paire de manches. La transition de l’école au travail est particulièrement compliquée dans les pays à faible revenu, où l'accès à l'enseignement supérieur a considérablement augmenté au cours des deux dernières décennies, passant de 4,5% en 2000 à 9,5% en 2021 (WDI, 2025). De nombreux diplômés se retrouvent alors dans des emplois peu qualifiés, c’est-à-dire des emplois ne nécessitant pas de diplôme universitaire, posant la question de l'impact de ces expériences sur leur future insertion professionnelle. Dans un contexte où la création d'emplois qualifiés ne suit pas la progression du nombre de diplômés (Banque Mondiale, 2023), cette question devient essentielle pour éclairer les choix des jeunes en début de carrière.

Une expérience valorisée par les employeurs ?

Notre étude s’intéresse à la question de savoir si, du point de vue des employeurs, les emplois peu qualifiés constituent un tremplin ou un frein pour les jeunes diplômés universitaires. 
 

Elle repose sur une approche expérimentale proche de la méthode du Incentivized Resume Rating, ou évaluation incitative de curriculum vitæ (CV), introduite par Kessler et al. (2019), qui vise à contourner le problème de déception lié aux expériences classiques appelées « testing » ou « audit studies ». L’expérience menée dans le cadre de cette étude a consisté à solliciter l'évaluation de CVs anonymisés auprès de divers employeurs, en absence de proposition d’embauche, mais en les informant que leurs évaluations permettront à l’entreprise de ressources humaines partenaire de cette étude de leur transmettre dans le futur des profils correspondant mieux à leurs attentes. Plus précisément, des CVs de récents diplômés de la Faculté d'Economie et de Gestion de l'Université du Burundi ont été présentés à des employeurs locaux, certains mentionnant une expérience post-universitaire dans un emploi peu qualifié, d'autres montrant des profils d’individus n’ayant aucune expérience professionnelle post-universitaire. 
 

Les résultats montrent que les CVs incluant une expérience en emplois peu qualifiés ont en moyenne un score supérieur de presque 10% à celui des CVs sans aucune expérience professionnelle, peu importe la qualité du demandeur d’emploi. Les employeurs perçoivent les jeunes ayant accepté les emplois peu qualifiés comme persévérants, disciplinés et travailleurs. Ils considèrent moins ce type d’expérience comme un signe de difficultés financières, d’incompétence ou démontrant un niveau de qualification inférieur à celui des camarades de classe du candidat. L’étude suggère également que ces expériences permettent de développer des compétences transversales essentielles dans n'importe quel milieu professionnel, telles que la communication, la gestion du temps et le travail en équipe. 

Un signal stratégique sur le marché du travail

On peut penser que l’expérience dans un emploi peu qualifié peut réduire les chances de décrocher un emploi qualifié. Cependant, cette affirmation est remise en cause par nos résultats. Il faut savoir que cette idée préconçue peut elle-même influer sur l’acceptation d’emplois peu qualifiés ou la mention de ceux-ci en entretiens ou sur les CVs. 
 

Ainsi, ce travail de recherche apporte un éclairage important sur les stratégies que les jeunes diplômés peuvent adopter pour améliorer leurs perspectives d'emploi. Il suggère également des pistes de stratégie des politiques d'emploi et de conseil des services d'orientation des jeunes, afin de mieux tirer parti de ce type d’expériences et d'informer plus efficacement les étudiants sur l'impact potentiel de leurs premières expériences professionnelles, qu'elles soient qualifiées ou non.
 

Dans un contexte où le sous-emploi des jeunes reste un défi majeur dans les pays en développement, l’éclairage apporté par cette étude est pertinent non seulement pour le Burundi, mais aussi pour d'autres pays confrontés à des difficultés similaires. En révélant que les expériences de travail, même dans des emplois peu qualifiés, peuvent jouer un rôle crucial dans la trajectoire de carrière des jeunes diplômés, cette étude offre une perspective intéressante sur la problématique du sous-emploi, une source potentielle de conflits, car les diplômés universitaires, bien que minoritaires, ont tendance à chercher à se faire écouter vigoureusement. 

Un appel à plus de recherches sur le sujet

En somme, cette étude met en lumière un phénomène qui mérite davantage d’attention dans les pays en développement : le sous-emploi des jeunes diplômés d’universités. 
 

En effet, les enquêtes statistiques nationales dans les pays à faible revenu ne portent généralement pas une attention particulière aux diplômés universitaires, ce qui limite la connaissance de la dynamique de leur insertion professionnelle ainsi que des solutions adaptées. Une meilleure compréhension de ces dynamiques permettrait d'affiner les recommandations relatives aux questions des jeunes diplômés et d'ajuster les politiques d'insertion professionnelle en conséquence. Enfin, l’étude souligne que les préférences des employeurs pourraient dépendre du contexte économique, appelant ainsi à des recherches similaires dans différents pays ou à des périodes différentes. 
 

Référence de l’article publié

Références

• Banque Mondiale, 2023. Delivering growth to people through better jobs. In: Africa’s Pulse, No. 28 (October 2023). Washington, DC: World Bank.
• Kessler, J.B., Low, C., Sullivan, C.D., 2019. Incentivized resume rating: Eliciting employer preferences without deception. American Economic Review 109 (11), 3713–3744.
• WDI, 2025. World development indicators. School enrollment, tertiary (% gross). Urldate 2025-02-17.