Services environnementaux et pouvoir de marché : quelle politique environnementale optimale ?

Publié le 23 mars 2020 Mis à jour le 25 mars 2020
Date(s)

le 25 mars 2020

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Services environnementaux et pouvoir de marché : quelle politique environnementale optimale ?

Le marché des biens et services environnementaux est en plein essor. Il permet aux entreprises de réduire leurs émissions polluantes et de se mettre en conformité vis-à-vis des politiques environnementales. Toutefois, ce secteur est fortement concentré. Si la littérature économique a établi la politique environnementale optimale dans ce contexte, elle considère les biens et non pas les services environnementaux. Considérant ce point, il est montré qu’une politique environnementale de premier rang peut être mise en œuvre par les pouvoirs publics malgré le pouvoir de marché dans l’éco-industrie.

Selon la définition donnée par Eurostats, le secteur des biens et services environnementaux comprend toutes les activités qui préviennent, réduisent ou éliminent la pollution ou toute autre forme de dégradation de l’environnement, et qui contribuent à la conservation des réserves de ressources naturelles. Ce secteur présente un intérêt majeur pour les décideurs politiques et il est largement couvert par la plupart des instituts de statistiques. Même s’il reste aujourd’hui de taille modérée, ces instituts soulignent son taux de croissance exceptionnel, sa capacité à générer de nouvelles opportunités d'emploi et ses performances à l'exportation.

Le fort développement de ce secteur au cours des deux dernières décennies est essentiellement dû à la mise en œuvre de politiques environnementales plus strictes, notamment dans les pays développés. Face à ces politiques environnementales, les industries polluantes traditionnelles vont chercher à éviter, au moins partiellement, le coût de la régulation environnementale. Elles vont ainsi acheter des technologies, des biens ou des services qui réduisent leurs émissions polluantes. Du moment que le marché des biens et services environnementaux est concurrentiel, ce secteur ne va pas modifier la mise en œuvre des politiques environnementales optimales.

Cependant, il est largement reconnu que ce secteur est contrôlé par des entreprises internationales comme CH2M Hill, Veolia Environmental Services, Vivendi Environnement ou Suez Environnement. Selon le rapport d'Ecorys (2009) concernant le secteur des biens et services environnementaux en Europe, 10 % des entreprises représentent près de 80 % des revenus d'exploitation. Cela suggère clairement qu'il existe un pouvoir de marché dans ce secteur.

Pour bien comprendre l'implication de ce pouvoir de marché, considérons la relation entre un secteur polluant concurrentiel achetant des biens environnementaux auprès d’une éco-industrie imparfaitement concurrentielle. La théorie économique nous enseigne que moins de biens environnementaux seront échangés à un prix plus élevé par rapport à des secteurs totalement concurrentiels. Par conséquent, afin de donner les bonnes incitations à la réduction de la pollution, les pouvoirs publics seront amenés à fixer le taux de la taxe pigouvienne à un niveau plus élevé que la vraie estimation du dommage, c’est-à-dire une taxe supérieure au dommage marginal (David and Sinclair-Desgagné, 2005). Si un marché de quotas est établi, le plafond de pollution doit être plus élevé que son niveau de premier rang (Schwartz and Stahn, 2014). Ainsi, le pouvoir de marché dans l’éco-industrie induit une distorsion dans la mise en œuvre de la politique environnementale optimale.

La force de cette distorsion est étroitement liée au degré du pouvoir de marché de l'éco-industrie, et donc, comme il est d'usage dans l'organisation industrielle, à l'élasticité de la demande de biens environnementaux. Cette demande est déduite de la stratégie de minimisation des coûts de chaque entreprise polluante confrontée à la réglementation environnementale. Cela signifie que la demande de biens de dépollution s'explique principalement par la performance de l'entreprise polluante par rapport au bien environnemental, c’est-à-dire sa productivité marginale à réduire la pollution. L'élasticité de cette demande est liée à cette productivité marginale et est donc endogène.

La littérature économique s’est principalement focalisée sur les biens et non les services environnementaux. Des sous-produits polluants de l'activité économique peuvent être livrés à une autre entreprise, qui procédera à leur décontamination. Ainsi, le transport, le traitement et l'élimination des déchets dépendent de prestataires de services. Il en va de même pour l'assainissement et le traitement des eaux usées.

En achetant des services de dépollution, l’entreprise ne fait qu'effectuer un compromis entre le prix de ce service et le coût de mise en conformité environnementale. Elle n’est pas concernée par la manière dont la réduction des émissions est exécutée. Elle transfère simplement sa pollution à une autre entreprise spécialisée, à un prix donné. Si une taxe pigouvienne est imposée, elle choisit de payer la taxe si le prix du service de dépollution est plus élevé, de réduire entièrement sa pollution dans le cas contraire, et elle sera indifférente entre les deux si le prix et la taxe sont égaux. La demande d'éco-services devient donc parfaitement élastique sur une gamme de quantités qui dépend du niveau de taxation.

Tout monopole vendant ces services perd donc - au moins partiellement - son pouvoir de marché. Si le régulateur est capable de fixer un niveau de taxation tel que la solution monopolistique appartienne à cette gamme de quantités, il pourra détruire le pouvoir de monopole. Dans cet article, il est montré qu’une taxe pigouvienne fixée au niveau du dommage marginal optimal permet de restaurer l’optimum de premier rang, malgré le pouvoir de marché dans le secteur des services environnementaux. Ce résultat diffère donc de celui des biens environnementaux. Il reste valable lorsqu’un marché de quotas de pollution est choisi ou encore, notamment, lorsque le secteur de l’éco-industrie est organisé en oligopole de Cournot. Ainsi, le régulateur doit distinguer la notion de biens ou de services lorsqu’il met en œuvre la politique environnementale optimale, que ce soit dans les pays développés ou en développement.

Références

Eurostats, European Communities (2009). "Handbook on Environmental Goods and Services Sector", Eurostats Methodologies and Working Papers.

David, Maia and Bernard Sinclair-Desgagné (2005). "Environmental Regulation and the Eco-industry", Journal of Regulatory Economics, Vol. 28 (2), 141-155.

Schwartz, Sonia and Hubert Stahn (2014). "Competitive Permit Markets and Vertical Structures: The Relevance of Imperfect Competitive Eco-industries", Journal of Public Economic Theory, Vol 16 (1), 69-95.