Restés au Mexique mais pas immobiles

Publié le 25 octobre 2021 Mis à jour le 25 octobre 2021
Date(s)

le 25 octobre 2021

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Restés au Mexique mais pas immobiles


La plupart des enfants mexicains exposés à la migration internationale de leur père connaissent d’autres changements majeurs. Une grande partie d’entre eux sont exposés à la séparation de leurs parents et/ou cohabitent avec leurs grands-parents maternels. Ces changements entraînent des conséquences importantes pour l'analyse des effets de la migration et des transferts de fonds sur les individus qui restent dans les pays d’origine.

Dans le contexte mexicain, de nombreuses familles sont exposées à la migration d’un ou plusieurs de leurs membres vers les Etats-Unis. Bien souvent les hommes mariés migrent en laissant leur femme et leurs enfants derrière eux, puis ces derniers tentent éventuellement de le rejoindre (Cerrutti and Massey, 2001). De fait, pour les enfants mexicains, la migration paternelle vers les Etats-Unis est la première cause de non-cohabitation avec le père (Nobles, 2013). L’absence paternelle est parfois longue et difficile à supporter, aussi bien pour les enfants que pour les femmes. La migration d’un père et d’un mari met à l’épreuve la solidité de l’union et révèle le besoin de faire appel à la famille étendue. D’autre part, les épisodes de migration familiale sont aussi générateurs de transferts, la grande majorité des femmes de migrants recevant de l’argent de leur mari aux Etats-Unis (ENDIREH 2016), ce qui peut influencer les conditions de vie des membres de la famille.
La littérature anthropologique montre que les femmes mexicaines ont tendance à demander de l’aide à leurs parents durant la migration de leur mari aux Etats-Unis, notamment pour aider à l’éducation des plus jeunes enfants (Boehm, 2012). Aussi, lorsque ces femmes cherchent à rejoindre leur conjoint aux Etats-Unis, leurs enfants sont de préférence confiés aux grands-parents maternels (Dreby, 2010). Cela suggère que les femmes et les enfants de migrants restés au Mexique ont intérêt à s’entourer de la famille de la femme, aussi bien pour supporter l’absence que pour faciliter la réunification du couple aux Etats-Unis. Le soutien que reçoivent les enfants peut atténuer les effets de l’absence du père et/ou de la mère. Du côté de la mère, l’attente et la faible fréquence des contacts avec son époux peuvent augmenter la probabilité que le couple se dissolve. Pour les femmes, le divorce ou la séparation sont aussi un facteur important de cohabitation avec les parents.
Pourtant, à ce jour, en raison des contraintes qui pèsent sur la collecte de données, la majorité des études cherchant à identifier l’impact des migrations sur les membres de la famille restés dans leur pays, n’ont pas la capacité de prendre en compte ces réagencements familiaux. L’objectif de notre article est de mettre en lumière ces contraintes. Nous prouvons que les ménages d’origine sont particulièrement flexibles. De fait, ils peuvent être dissouts ce qui les rend invisibles lors des enquêtes.
A partir de plusieurs enquêtes conduites au Mexique, nous montrons que les enfants de 0 à 16 ans dont le père est migrant sont plus susceptibles de vivre avec leurs grands-parents (maternels) que ceux dont le père est membre du ménage. Lorsque le père est présent, 98% des enfants habitent aussi avec leur mère, alors que 20% de ceux dont le père est migrant ne résident pas avec leur mère mais avec leurs grands-parents. De plus, les enfants dont le père est migrant ont une probabilité plus forte de vivre avec une mère séparée ou divorcée. La dissolution du couple réduit la probabilité que le père migrant continue d’envoyer de l’argent et pousse la mère à se rapprocher de sa famille. Ainsi, identifier les enfants de migrants au travers des transferts de fonds risque de surestimer la solidité du couple parental et de sous-estimer la cohabitation avec les grands-parents.
Grâce à une enquête qui permet de suivre l’évolution de la composition des ménages au cours du temps, nous observons qu’à la première visite, il est peu probable que les enfants dont le père va migrer habitent également avec leurs grands-parents. Pour ces enfants, il existe une corrélation significativement positive entre la migration du père et la sortie de l’enquête du ménage dans lequel il résidait. Cela suggère que ce ménage n’existe plus et que la femme et les enfants ont rejoint un autre ménage. Les enquêtes longitudinales ne permettent donc pas d’observer l’évolution des conditions de vie d’une partie des enfants de migrants. Le réaménagement familial intervient après la migration du père et prend la forme d’un déménagement de la femme et des enfants vers le ménage des grands-parents maternels.

Lors des enquêtes transversales, le gendre migrant vivant à l’étranger ne sera pas considéré comme un ancien membre du ménage des grands-parents maternels, puisqu'il n'en faisait pas partie au moment de son départ. De plus, les enquêtes qui permettent de recenser les migrants ayant des liens familiaux avec des individus dans leur pays d’origine, se concentrent sur les adultes et ne font mention ni des ex-conjoints, ni des beaux-enfants.
Cette étude pointe l’importance de prendre en compte l’évolution de la composition des ménages pour analyser les effets de la migration et des transferts d’argent dans les pays d’origine. En conclusion, les réagencements familiaux sont liés à la solidité de l’union avec le migrant, le soutien de la famille étendue, et l’accès aux transferts de fonds. Les modes de cohabitation qui en résultent (endogènes aux migrations), ont des implications diverses sur le bien-être des enfants de migrants restés dans le pays d’origine.

Références
Boehm, D. (2012) "Intimate Migrations: Gender, Family, and Illegality among Transnational Migrants", New York University Press
Cerrutti, M. and D. S. Massey (2001) “On the auspices of female migration from Mexico to the United States", Demography, 38, 187-200
Dreby, J. (2010): "Divided by Borders - Mexican migrants and their children", University of California Press
Nobles, J. (2013): “Migration and father absence: Shifting family structure in Mexico," Demography, 50, 1303-1314.