Refugiés syriens en Turquie : analyse des données de téléphonie mobile

Publié le 27 septembre 2021 Mis à jour le 27 septembre 2021
Date(s)

le 27 septembre 2021

Zoom sur la recherche

Refugiés syriens en Turquie : analyse des données de téléphonie mobile


Des données anonymisées de téléphonie mobile peuvent offrir de nouvelles perspectives pour comprendre la mobilité des réfugiés syriens en Turquie. Nous utilisons les données fournies par Türk Telekom, l'une des principales sociétés de téléphonie mobile en Turquie, dans le cadre du projet D4R (Data for Refugees) pour analyser comment la ségrégation résidentielle et sur le marché du travail influence les choix de localisation des réfugiés.

Le conflit décennal en Syrie a déclenché une vague massive de migrations ; suite aux accords avec l’Union Européenne de mars 2016, la grande majorité des réfugiés Syriens est accueillie en Turquie en échange d’un transfert important d’aide. Türk Telekom, qui est l’un des plus importants opérateurs de téléphonie mobile du pays, et aussi une ancienne entreprise publique, a accepté de mettre à disposition des chercheurs des données (anonymisées) issues des Call Detail Records (CDR) de ses utilisateurs. Les CDR sont des données à la base de la facturation qui incluent les informations concernant la localisation de chaque téléphone portable au moment de l’appel, la connexion à Internet ou l’envoi d’un message de texte. Türk Telekom dispose, en plus, de la capacité d’identifier les cartes SIM qui sont utilisés par Syriens : soit parce que le client a utilisé son passeport au moment de l’achat de la carte, soit parce qu’il ou elle bénéficie du plan tarifaire réservé aux réfugiés Syriens.
Dans le cadre du projet D4R (Data for Refugees), Türk Telekom a mis à disposition des chercheurs les données concernant presque un million de ses clients, dont environ 200 000 réfugiés, entre janvier et décembre 2017. Ce projet était censé fournir les données nécessaires pour réaliser des travaux de recherches dont le but ultime devait être la production de recommandations pour l’amélioration des conditions de vie des réfugiés.
Les différentes bases de données du projet D4R permettent de connaitre la quantité d’appel émis chaque heure au niveau de chaque tour de téléphonie cellulaire (environ 30 000 dans l’ensemble du pays), ou de suivre les déplacements d’un échantillon d’utilisateurs.
Cette richesse d’informations nous a permis de construire des mesures de ségrégation spatiale de la minorité Syrienne en Turquie, et de comprendre si les choix de localisation des réfugiés étaient corrélés avec le niveau de ségrégation dans les différentes parties du pays. Ces mesures ont été intégrées dans l’estimation d’un modèle de gravité. L’estimation du même modèle pour les natifs nous a permis de vérifier que l’effet des mesures de ségrégation spatiale n’était pas simplement dû à des variables inobservables, corrélées à la fois avec ces mesures et avec l’attractivité d’une localité. Cela nous a permis de répondre à des questions de recherche innovantes qui ne peuvent pas être traitées avec des données administratives ou d’enquêtes.
Les données de Türk Telekom ont également révélé que le niveau de ségrégation, mesuré par le dissimilarity index, est plus important dans la journée que dans la nuit. Cela implique que la ségrégation résidentielle est plus important que la ségrégation sur le marché du travail. Autrement dit, les réfugiés ne résident pas dans les villes, ou dans les quartiers au sein des villes, qui offrent davantage d’opportunités d’interactions et donc d’emploi.