Florian Léon
Chargé de recherche, Ferdi
Chercheur associé, CERDI-UCA-CNRS-IRD
L'accès au financement reste un obstacle majeur pour les petites et moyennes entreprises (PME) en Afrique, limitant leur croissance et la création d'emplois. Pour remédier à cela, des programmes ont été mis en place pour inciter les banques à augmenter leur offre de crédit aux PME. Cependant, les évaluations de l'impact de ces programmes sont rares. Notre étude examine cette question en se basant sur les programmes proposés par les institutions financières de développement, révélant un effet inattendu : une réduction de 8 % de l’activité de prêt des banques soutenues.
Bien que l’ensemble des décideurs publics s’accordent sur l’importance du monde de l'entreprise pour le développement, force est de constater que le secteur privé en Afrique reste fragile et peine à fournir suffisamment d’emplois pour faire face à la croissance démographique.
De nombreux programmes ont été lancés pour encourager les institutions financières à augmenter leurs prêts aux PME. En effet, la difficulté à accéder à des fonds externes demeure un obstacle fort pour les entrepreneurs. Pour ce faire, les autorités utilisent des ressources publiques afin de fournir aux banques des financements à moindre coût ou pour couvrir leurs éventuelles pertes. En dépit de l’importance de ces programmes, il existe peu d’évaluations. Les rares analyses actuelles se concentrent principalement sur leur efficacité à atteindre les bénéficiaires ciblés (Amamou et al., 2023 ; Aydin et al., 2024), sans tenir compte des répercussions possibles sur les autres emprunteurs ou les banques non ciblées.
Une réduction inattendue de l’offre de crédit …
Notre étude (Léon, 2025) comble ce vide en examinant l’impact des programmes fournis par les institutions financières de développement en Afrique, entre 2010 et 2021, sur l’activité de prêts des banques soutenues via ces programmes.
À cette fin, nous avons construit une base de données de 900 projets financés au cours de la période 2010-2021 par les principales institutions financières de développement opérant en Afrique. Les institutions financières de développement, dont la mission consiste à soutenir le secteur privé dans les pays à faible revenu et revenu moyen, sont les principaux fournisseurs de ces programmes sur le continent. Nous avons fusionné ces données avec des informations bancaires pour évaluer l’impact de ces programmes sur les banques concernées.
L'échantillon final inclut 952 banques, dont 156 ont été soutenues entre 2010 et 2021. Nous comparons l'évolution de l'activité de prêt de ces banques avec un groupe de banques similaires avant et après la mise en place du soutien.
Contrairement aux attentes, les résultats empiriques montrent que les banques soutenues par une institution financière de développement ont connu une contraction de 8 % de leur croissance des prêts. Ce résultat surprenant est relativement stable et survit à de multiples tests de robustesse.
… due à des ressources limitées au sein des banques.
Afin de mieux comprendre les raisons sous-jacentes de ces résultats, nous explorons diverses explications.
En particulier, nous rejetons l'hypothèse selon laquelle cette contraction des prêts serait due au fait que les IFD ont des motivations politiques, soutiennent en priorité des banques en difficulté ou imposent des contraintes fortes qui pourraient réduire l’activité des banques soutenues (par exemple, en établissant des listes d’exclusion de certains secteurs). L'explication la plus plausible est le fait que les banques recevant ces programmes sont amenées à mobiliser une partie de leur équipe et moyens pour satisfaire les conditions inclues dans le programme (par exemple, soutenir les jeunes entrepreneurs). Par conséquent, ces ressources ne sont plus disponibles pour satisfaire la demande issue des autres clients. L’offre totale de crédit est ainsi réduite.
L’analyse se conclut par deux investigations additionnelles. D’une part, nous relevons que les banques non traitées sont insensibles au fait que certaines de leurs concurrentes bénéficient de ce soutien. D’autre part, même si les données sont imparfaites, nous soulignons que ces programmes n’ont pas d’effet (ni positif ni négatif) sur l’offre de prêt des institutions de microfinance.
Quelles implications pour les programmes futurs ?
Cette étude soulève des questions quant à l'efficacité des programmes dédiés à stimuler l'offre de crédit en Afrique. Nos résultats soulignent que ces programmes occasionnent de potentiels coûts pour les autres emprunteurs des mêmes banques. L’effet macroéconomique est néanmoins incertain et dépend de la capacité de ces clients « traditionnels » à accéder à d’autres sources de financement. Les programmes futurs devraient néanmoins prendre en compte ce risque et être construits afin de mieux accompagner les banques.
Référence de l’article publié
Léon, F. (2025). Blended Binds: How DFI's Support Programs Stifle Bank Lending in Africa, World Development, 191, 106998.
Bibliographie
- Amamou, R., Gereben, A. & Wolski, M. (2023). Assessing the impact of the EIB’s intermediated lending to SMEs during funding shocks. Small Business Economics, 60 (3), 975-1007.
- Aydin, H., Bircan, C., & De Haas, R. (2024). Blended finance and female entrepreneurship. CEPR Discussion Papers, 18761, 1-69.
- Léon, F. (2025). Blended binds: How DFI’s support programs stifle bank lending in Africa. World Development, 191, 106998.
Photo de couverture © IRD - Xavier Le Roy