Quand la politique monétaire change, les entreprises suivent
Zoom sur la recherche
Djeneba Dramé,
Chercheure à EconomiX, Université Paris Nanterre
Chercheure invitée au COFEB, BCEAO
Florian Léon,
Chargé de recherche, Fondation pour les Etudes et Recherches sur le Développement International (Ferdi)
Chercheur associé au CERDI-UCA-CNRS-IRD
Dans un contexte marqué par l’incertitude et la montée des tensions géopolitiques, l’économie mondiale navigue en eaux troubles. Les prix restent sous pression, tandis que la croissance montre des signes d’essoufflement. Pour les décideurs, l’enjeu est de taille : comment maîtriser l’inflation sans compromettre la reprise ? Un exercice d’équilibriste, surtout pour les pays en développement, où les outils traditionnels peinent à apporter des solutions durables. La politique monétaire est un instrument clé pour atteindre cet équilibre, mais son efficacité dans les pays en développement reste une question ouverte.
Dans une étude récente (Dramé et Léon, 2025), nous examinons cette question en étudiant le comportement des entreprises face à un changement de la politique monétaire. Nous mettons en évidence que les dirigeants d’entreprises réagissent à la fois aux politiques monétaires restrictives et expansives mais que la sensibilité est hétérogène.
La politique monétaire dans les pays en développement : comment évaluer son efficacité ?
En dépit de l’importance de la politique monétaire dans l’arsenal à la disposition des autorités pour orienter l’activité économique, la question de son efficacité dans les pays en développement reste ouverte. Si de nombreux travaux ont souligné sa relative inefficacité dans ces pays, il est difficile de savoir si ces résultats s’expliquent par une réelle absence d’effet ou des limites méthodologiques inhérentes à ces études (Li et al., 2019). Des études récentes ont montré que la politique monétaire pouvait être efficace lorsque la banque centrale augmente brutalement ses taux directeurs¹ (Abuka et al., 2019 ; Berg et al., 2019 ; Willems, 2020). Néanmoins, il est difficile de généraliser les conclusions de ces cas particuliers.
Notre étude (Dramé et Léon, 2025) adopte une nouvelle perspective pour éclairer la question de l'efficacité des politiques monétaires dans les pays en développement. Nous étudions l’influence des changements de politique monétaire sur les dirigeants d'entreprises. Le cadre d'analyse part du principe que la politique monétaire agit principalement par le canal du crédit bancaire dans les pays en développement. Un resserrement de la politique monétaire doit par conséquent rendre l'accès au crédit moins aisé, notamment pour les entreprises. Si les dirigeants sont insensibles à ce changement, cela suppose que la politique monétaire est peu efficace à contrôler l'offre de crédit et ainsi à atteindre son objectif.
Afin de mener cette investigation, nous avons collecté les changements de politique monétaire dans 76 pays en développement, et avons combiné ces données avec des enquêtes auprès de dirigeants d’entreprises opérant dans ces pays (« Enterprise Surveys » de la Banque mondiale). A partir de ces données, nous avons opéré en deux étapes. D’une part, nous avons analysé si les dirigeants ajustent la perception de leur contrainte de crédit dans les jours suivants l’annonce d’un changement de politique monétaire. D’autre part, nous avons examiné si un ajustement du taux directeur affecte le comportement de ces derniers en termes de demande de crédit.
Face aux changements de politique monétaire, les entreprises réagissent différemment
Nos résultats révèlent que, dans les pays en développement, les dirigeants d'entreprises ajustent à la fois leurs perceptions et comportements en réponse à la politique monétaire. Néanmoins, les réponses sont asymétriques : les perceptions sont plus sensibles au resserrement monétaire, tandis que les demandes de crédit sont plus sensibles à l'assouplissement monétaire.
La richesse de nos données permet de mieux comprendre les facteurs pouvant jouer sur l’efficacité de la politique monétaire. Pour provoquer une action sur les dirigeants, la politique monétaire doit d’une part affecter le comportement des banques et d’autre part les entreprises doivent être sensibles aux modifications des conditions de crédit. Nous examinons donc les facteurs pouvant modérer ces deux canaux de transmission. Nous notons que la transmission de la politique est plus forte dans les pays avec des banques centrales indépendantes, des régimes de ciblage de l'inflation, et des systèmes bancaires moins liquides, tandis que la profondeur bancaire et la concurrence (au sein du système bancaire) jouent un rôle plus limité. D’autre part, nos résultats indiquent que les entreprises ayant des relations bancaires préexistantes sont moins sensibles aux changements de politique monétaire, car l'accès préalable au crédit les protège sans doute des fluctuations des conditions d'emprunt.
Quels enseignements pour les décideurs et les chercheurs ?
Notre étude fournit de nouvelles preuves sur la manière dont la politique monétaire affecte les entreprises dans les pays en développement, bien que de manière hétérogène. En particulier, elle confirme que la politique monétaire est plus efficace dans certaines conditions mais aussi que toutes les entreprises n’y sont pas également sensibles.
Plus largement, cet article est parmi les premiers à utiliser des données à haute fréquence reconstruites pour évaluer la transmission de la politique monétaire dans ces économies, une approche largement utilisée dans les économies avancées. Nous pensons que cette méthode présente un fort intérêt pour les recherches futures sur la manière dont les interventions politiques à court terme affectent les économies à faible et moyen revenu.
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¹ Le taux directeur est le taux d'intérêt fixé par une banque centrale pour les prêts qu’elle accorde aux banques commerciales qui en ont besoin. Il s’agit du principal outil conventionnel de la politique monétaire. (Définition de la Banque de France).
Référence de l’article publié
Dramé, D. & Léon, F. (2025). Do firms react to monetary policy in developing countries? European Economic Review, Vol. 178, September, 105102.Bibliographie
- Abuka, C., Alinda, R.K., Minoiu, C., Peydro, J-L. & Presbitero, A. (2019). Monetary policy and bank lending in developing countries. Journal of Development Economics, 139, 185-202.
- Berg, A., Charry, L., Portillo, A. & Vlcek, J. (2019). The monetary transmission mechanism in the tropics: A narrative approach. Journal of African Economies, 28(3), 225-251.
- Li, B.G., Adam, C., Berg, A., Montiel, P. & O’Connell, S. (2019). Structural VARs and the monetary transmission mechanism in low-income African countries. Journal of African Economies, 28(4), 455-478.
- Willems, T. (2020). What do monetary contraction do? Evidence from large tightenings. Review of Economic Dynamics, 38, 41-58.