Industrialisation et commerce international en Afrique subsaharienne

Publié le 13 mai 2022 Mis à jour le 9 novembre 2022
Date(s)

le 13 mai 2022

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Industrialisation et commerce international en Afrique subsaharienne

Dans notre article paru dans World Economy, nous étudions les déterminants de l'industrialisation de l'Afrique subsaharienne. L'originalité de notre étude est de s'appuyer sur une comparaison des politiques industrielles et commerciales africaines avec les politiques asiatiques.

Notre méthodologie

La grande majorité des études publiées sur ce sujet sont des analyses descriptives. Elles ne mettent pas en lumière les relations de causes à effets entre l'industrialisation et ses déterminants. Les analyses empiriques quant à elles conduisent souvent à des biais d'estimation. Pour dépasser les limites induites par ces deux types d'analyses, nous utilisons des macro-économétriques dynamiques pour examiner les facteurs de l'industrialisation en Afrique subsaharienne (ASS).

Nous analysons, par le biais de ces modèles, l’impact de l’ouverture commerciale sur une mesure de changement structurel que nous construisons. Ces modèles permettent de comprendre comment l’ouverture commerciale sur une longue période affecte la transformation structurelle à court terme et à long terme. Nous examinons ici le rôle des politiques commerciales, de l’ouverture commerciale, ainsi que des politiques industrielles sur la croissance du secteur manufacturier par rapport au secteur agricole (transformation structurelle) en ASS.

Comparaison des stratégies industrielles et commerciales en Asie et Afrique subsaharienne

Au cours du XIXe siècle, les pays d’Asie, d’Afrique et d’Amérique latine ont connu un processus de désindustrialisation. Leur part totale dans la production manufacturière mondiale est passée de 60,50 % en 1830 à 7,50 % en 1913. Bien que cette désindustrialisation ait été un phénomène commun aux trois régions pendant la colonisation, la période 1970-2016 a été marquée par des divergences saisissantes entre ces régions en termes d’industrialisation. L’Asie de l’Est a pu connaître un miracle de transformation structurelle menant à l’industrialisation puisque ses stratégies industrielles étaient basées sur la valorisation de son avantage comparatif. L’ouverture commerciale lui a ainsi permis de remonter progressivement la chaîne de valeur. D’exportateur de matières premières agricoles, cette région est devenue l’un des plus grands exportateurs de produits manufacturés à forte intensité de main-d’œuvre. Aujourd’hui, certains pays d’Asie de l’Est sont des producteurs de biens manufacturés hautement intensifs en technologie. Dans le cas de l’ASS, les politiques industrielles post-indépendance étaient fondées sur le développement d’industries à forte intensité de capital, alors que la région est abondamment dotée d’une main-d’œuvre bon marché et que le capital y est rare. Cette stratégie n'est pas soutenable à long terme. Ces pays se sont spécialisés dans l’exportation des matières premières minérales et agricoles, c'est le piège bien connu de la maladie hollandaise dans lequel de nombreux pays du continent sont tombés. Les conséquences sur le développement du secteur manufacturier d'Afrique subsaharienne ont été désastreuses.

Nos résultats

Empiriquement, les résultats de notre étude montrent que l’ouverture commerciale réduit la progression à long terme et à court terme de l’industrialisation en ASS. Cet impact passe par les exportations globales et non par les importations globales. En décomposant les exportations totales, nous constatons que les exportations de matières premières ont un effet négatif alors que les exportations de produits manufacturés ont un effet positif sur l’industrialisation.

Ces résultats s’expliquent par le fait que, contrairement aux pays asiatiques, les pays africains n’ont pas réussi à mettre le commerce international au service de l’industrialisation en suivant la logique des avantages comparatifs. Dès lors, ils n’ont pas réussi à investir les recettes des exportations des matières premières dans la qualité des infrastructures. De tels investissements permettent de lever les obstacles liés à l’entrepreneuriat dans les activités manufacturières à forte intensité de main-d’œuvre. En effet, les pays d’ASS souffrent d’importantes contraintes d’infrastructures, qui représentent des coûts de transaction significatifs pour les activités industrielles.
Par conséquent, le retour sur investissement dans les activités manufacturières est faible et peut être inférieur à celui des activités d’importation. Ainsi, en raison de ces contraintes et du mauvais environnement des affaires, le risque associé à la création d’une nouvelle industrie sera élevé par rapport au risque associé aux activités d’importation. Dans ce contexte, même avec un avantage comparatif dans les industries à forte intensité de main-d’œuvre peu qualifiée (textile, industries agro-alimentaires etc.), les entrepreneurs préféreront importer plutôt que d’investir dans le secteur manufacturier.

Par conséquent, une ouverture commerciale fondée sur les exportations de produits de base sans politique d’investissement dans les infrastructures aura pour effet l’éviction du secteur manufacturier. Cet effet sera amplifié par l’augmentation du PIB par habitant due aux exportations de matières premières, qui aura pour effet d’augmenter la demande intérieure. Cependant, avec une base industrielle faible, l’augmentation de la demande nationale entraînera une augmentation des importations de produits manufacturés étrangers.