L'ITIE empêche-t-elle la malédiction des ressources naturelles dans le développement financier ?

Publié le 25 avril 2024 Mis à jour le 25 avril 2024
Date(s)

le 25 avril 2024

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L'ITIE empêche-t-elle la malédiction des ressources naturelles dans le développement financier ?

La mauvaise gestion des ressources naturelles peut compromettre l'efficacité des facteurs essentiels au développement économique, un concept communément appelé la "malédiction des ressources". Outre la détérioration de la situation socio-économique, la dépendance aux ressources naturelles peut entraver l'émergence d'un système financier efficace dans les pays où les institutions sont faibles. A contrario, une bonne gestion des ressources naturelles peut permettre aux pays à revenu faible ou intermédiaire d'améliorer leurs performances économiques. Nous décrivons d'abord les mécanismes théoriques sous-jacents de l'existence d'une telle "malédiction financière des ressources", puis présentons des preuves empiriques de l’effet d’atténuation potentiel favorisé par la mise en œuvre de la norme Initiative pour la transparence des industries extractives (ITIE).

Comment les ressources naturelles peuvent-elles entraver le développement financier ?

Cette étude se concentre sur quelques mécanismes principaux par lesquels les ressources naturelles peuvent nuire au développement financier. 

Pour commencer, les richesses naturelles sont souvent liées à une mauvaise qualité des institutions et à un climat des affaires défavorable, ce qui encourage la corruption, l'instabilité politique et les comportements de recherche de rente. Cela compromet la crédibilité des autorités publiques et dissuade les investisseurs privés nationaux et étrangers, entravant ainsi l'essor du secteur financier. De plus, selon la maladie hollandaise, les revenus des ressources extractives stimulent la demande intérieure des biens étrangers, ce qui génère de l’inflation et une appréciation du taux de change réel. Il en résulte une perte de compétitivité dans les activités non liées aux ressources, notamment dans l'industrie manufacturière, ce qui peut à son tour avoir un impact négatif sur le secteur financier domestique (malédiction financière des ressources). Pour finir, la grande volatilité des prix des matières premières accroît la volatilité des recettes d'exportation et, par conséquent, la vulnérabilité de l'économie aux chocs extérieurs, ce qui accroît l’incertitude, décourage l'investissement et freine le développement financier. 

Dans l'ensemble, il est assez évident que les ressources naturelles tendent à affaiblir le secteur financier, même si les canaux par lesquels cela se produit ne sont pas toujours parfaitement identifiés. Pourtant, la qualité des institutions et de la gestion des ressources naturelles semble être un facteur déterminant pour expliquer si une telle malédiction est susceptible de se produire. 

Comment l'ITIE pourrait-elle empêcher la malédiction financière des ressources ?

Une réponse classique pour améliorer la gestion des ressources naturelles pour favoriser des retombées positives est de promouvoir la transparence et la responsabilité dans le secteur des ressources, comme l'encourage l'initiative EITI. L’ITIE est une initiative internationale visant à promouvoir la transparence et la responsabilité dans la gestion des ressources naturelles en liant gouvernements, entreprises privés dédiées à l’exploitation des ressources et représentants de la société civile. L’idée principale est donc que l’adhésion à cette initiative, en encourageant une transparence accrue quant à l’utilisation des ressources naturelles, peut contribuer à une meilleure utilisation de celles-ci et ainsi atténuer la malédiction financière des ressources.

De prime abord, le modèle de "débat public", qui permet une délibération collective et une collaboration entre les représentants du gouvernement, les agents du secteur privé et les organisations de la société civile, la mise en œuvre de l'ITIE favorise la bonne gestion des ressources naturelles et incite des investissements publics adéquats. Dans ce cas, cela contribuera à la crédibilité des politiques publiques et au développement d'un bon climat des affaires, encourageant l'investissement et l'épargne nationale et contribuant ainsi au développement financier. En outre, ce dialogue entre les communautés locales, les entreprises, les gouvernements et les organisations de la société civile pourrait également contribuer à apaiser les tensions socio-politiques causées par l'extraction des ressources naturelles, en rétablissant la confiance des agents financiers et privés. 

Tout compte fait, l'ITIE exige des pays qu'ils publient des informations sur l'ensemble de la chaîne de valeur de l'industrie extractive, depuis les conditions d'octroi des droits d'extraction jusqu'à la manière dont les recettes parviennent au gouvernement et profitent à la population. Cette amélioration de la transparence permet de réduire les tentatives de corruption et de recherche de rente, ce qui favorise la mobilisation des recettes publiques issues des ressources naturelles et réduit la dépendance de la dette extérieure. Les pays peuvent établir des fonds souverains pour diversifier les portefeuilles de réserves, générer des rendements plus élevés et lutter contre le "syndrome hollandais". 

Par conséquent, la mise en œuvre de l'ITIE peut jouer un rôle crucial dans l'atténuation des différents mécanismes par lesquels une malédiction financière des ressources peut se produire, à la fois en encourageant une amélioration pratique des politiques publiques (gouvernance des ressources, stratégie d'investissement...) et en rétablissant la confiance des agents privés.

Dans cette étude, nous ne cherchons pas à distinguer ces différents mécanismes mais seulement à analyser les effets d’entrainement de l'adhésion à l'ITIE pour atténuer les conséquences de la malédiction des ressources dans le secteur financier.

Les effets de ITIE sur la malédiction financière des ressources naturelles 

Nous étudions les effets de l'adhésion à l'ITIE sur le développement du secteur financier dans un panel de 71 pays riches en ressources naturelles entre 1995 et 2019, dont 30 pays adhérents à l’ITIE et 41 pays non ITIE. Nous avons appliqué à la fois les modèles canoniques à effets fixes et aléatoires et la spécification d'équilibrage de l'entropie (entropy balancing), une approche d'appariement nous permettant d'éviter les problèmes potentiels d'endogénéité découlant d'un biais de sélection. Les résultats suggèrent des preuves solides que les ressources naturelles encouragent le développement d'une "malédiction des ressources naturelles" dans le développement financier, mais aussi que le fait de s'engager à respecter les normes de l'ITIE contribue à atténuer cette malédiction. 

La figure 1 révèle que si l'adhésion à l'ITIE est associée à un développement plus faible du secteur financier pour les faibles niveaux de ressources naturelles par rapport aux non-membres de l'ITIE, cet effet tend à diminuer au fur et à mesure que les rentes des ressources augmentent jusqu'à ce qu'il devienne positif. Ces avantages deviennent évidents lorsqu'un pays typique dépend à environ 15 % des rentes provenant des ressources naturelles par rapport à son PIB.
 


Fig. 1: Effet de l'adhésion à l'ITIE sur crédit domestique au secteur privé (%PIB)
à différents niveaux de rentes des ressources naturelles.


Dans un pays type dépendant à 20 % des rentes provenant des ressources naturelles, l'impact réalisé sur le développement financier est une augmentation de 3 points de pourcentage du crédit au secteur privé (en % du PIB) par rapport à un pays non-membre de l'ITIE pour chaque étape de mise en œuvre de l'ITIE. À 80 % de dépendance (qui est la valeur extrême de notre échantillon atteinte uniquement par le Timor Oriental en 2015), l'effet positif est une augmentation de 8 à 9 points de pourcentage du crédit au secteur privé pour les pays engagés (pays s’étant engagés dans l’ITIE mais dont le respect de toutes les exigences n’a pas encore été validé) et une augmentation de 20 points de pourcentage pour les pays conformes (pays dont tous les critères d’exigence de l’ITIE ont été validés) par rapport aux pays non-membres de l'ITIE. 

Dans l'ensemble, ces résultats indiquent que (i) l'ITIE contribue à atténuer la malédiction des ressources dans le développement financier et (ii) chaque étape supplémentaire de la mise en œuvre de l'ITIE renforce cet effet d'atténuation.

Remarques finales

La transparence à travers la mise en œuvre de l'ITIE peut contribuer à atténuer l’impact négatif des ressources naturelles sur le secteur financier des pays membres. Ce résultat confirme que l'ITIE, sans être une solution miracle, représente un programme politique efficace pour atténuer la malédiction financière des ressources. Cette étude éclaire à la fois le conseil d'administration et les comités nationaux de l'ITIE, ainsi que les gouvernements sur le rôle majeur de l'ITIE dans la lutte contre la malédiction des ressources naturelles. 

Toutefois, il convient de noter que l'impact de l'adhésion à l'ITIE sur l'atténuation des effets n'est que partiel, ce qui suggère que la transparence est une étape nécessaire mais insuffisante pour garantir que les ressources naturelles puissent bénéficier au développement économique.