Décentralisation et développement économique au Burkina Faso : un éclairage (nocturne)

Publié le 20 janvier 2025 Mis à jour le 20 janvier 2025
Date(s)

le 20 janvier 2025

Zoom sur la recherche


Olivier B. Bargain
Professeur d'économie,
Université de Bordeaux, membre de l'Institut Universitaire de France


Rose Camille Vincent
Chercheuse,
Utrecht School of Economics, Pays-Bas


Emilie Caldeira
Maître de conférences,
CERDI-UCA-CNRS-IRD

La décentralisation, soutenue par les institutions internationales, est l'une des réformes du secteur public les plus marquantes des dernières décennies, en particulier en Afrique subsaharienne. À ce jour, peu d'études proposent une évaluation quasi-expérimentale de sa capacité à contribuer au développement local. Nous exploitons le déploiement progressif de la décentralisation au niveau communal au Burkina Faso. Nous utilisons des données satellitaires sur la densité de luminosité nocturne comme proxy des niveaux de développement local, offrant l'avantage d'une mesure comparable dans le temps et l'espace. Les communes décentralisées en premier sont comparées aux autres après la réforme par rapport à la situation pré-réforme. La méthode de différence-en-différences inclut des effets fixes par commune et une repondération par score de propension inverse pour tenir compte des différences temporelles entre communes. Nos résultats révèlent un impact positif de la décentralisation sur les tendances d'intensité lumineuse des communes décentralisées précocement. Ces conclusions sont corroborées par des mesures alternatives de résultat (télédétection des zones bâties et un indice de bien-être), qui mettent en évidence l'ampleur potentielle des gains liés à la décentralisation. Cependant, la décentralisation n'a pas bénéficié à toutes les communes : seules celles ayant la capacité de générer des revenus propres ont véritablement tiré parti de cette réforme. 

Contexte et objectif 

La décentralisation est depuis plusieurs décennies l’une des réformes institutionnelles les plus encouragées par les institutions internationales, en particulier en Afrique subsaharienne. Le transfert de pouvoir aux autorités locales est présenté notamment comme un moyen d’améliorer la gouvernance par la réduction des asymétries d’information entre les décideurs et les citoyens et par l’introduction de plus de concurrence et contre-pouvoirs face à des Etats centraux qui ont perdu de leur légitimité. Cette réforme contribuerait alors à améliorer la redevabilité des gouvernements locaux, la fourniture des biens et services publics, et, finalement, à réduire la pauvreté (Bardhan, 2002). Pourtant, peu d'études empiriques rigoureuses proposent une évaluation causale de sa capacité à contribuer au développement local.

Le Burkina Faso offre un cadre idéal pour combler ce gap dans la littérature en permettant la réalisation d’une étude quasi-expérimentale grâce à la mise en place échelonnée de sa réforme de décentralisation en trois phases : 33 communes ont été décentralisées en 1995, 16 en 2000, et les 321 restantes en 2005. Cela offre la possibilité de constituer des groupes de comparaison et d’évaluer les effets causaux de la réforme. 

Méthode

Nous utilisons une base de données couvrant la période 1992-2010 et recourons à des données satellitaires sur la densité lumineuse nocturne comme indicateur de résultat. L'utilisation des données de luminosité nocturne comme proxy du développement économique local permet de capter les tendances économiques locales dans des contextes où les indicateurs économiques conventionnels sont peu disponibles (Henderson et al., 2012). L’analyse est complétée par des mesures alternatives telles que le degré d’urbanisation mesuré par la télédétection des zones bâties et un indice de bien-être des ménages calculé à partir des Enquêtes Démographiques et de Santé.

Notre modèle de différence-en-différences – qui inclut des effets fixes par commune et dans le temps, ainsi que des variables de contrôle liées aux conditions climatiques et autres caractéristiques locales - permet de neutraliser les biais liés aux différences invariantes dans le temps entre les groupes de traitement et de contrôle tout en capturant les variations temporelles communes. Nous appliquons également une repondération par score de propension pour éliminer les biais liés à la sélection non aléatoire des communes dans les premières phases de la réforme et comparer des sous-groupes plus homogènes entre les communes décentralisées tôt et tardivement (Abadie, 2005). Le score de propension est estimé à partir de variables liées à la démographie, à la géographie et aux ressources économiques des communes. Enfin, nous explorons l’hétérogénéité des effets pour comprendre les mécanismes à l’œuvre et les caractéristiques des communes qui ont le plus bénéficié de la réforme.

Principaux résultats et conclusion

Nos résultats montrent que la décentralisation a eu un impact positif significatif sur le développement économique local. Les communes décentralisées en 1995 ont vu leur intensité lumineuse augmenter de 14 % à 18 % par rapport à celles décentralisées ultérieurement. Ces effets sont robustes à divers tests d’hétérogénéité et vérifications de tendance parallèle. Les données sur les zones bâties et les indices de bien-être des ménages confirment également ces résultats. 

La capacité à générer et à collecter des ressources propres via la fiscalité apparaît comme étant un facteur clé, non seulement pour expliquer quelles communes ont été décentralisées en premier, mais aussi pour comprendre les bénéfices tirés de la décentralisation et, parmi les communes décentralisées précocement, celles qui ont le mieux réussi. Cela souligne l’importance des ressources locales pour la mise en œuvre efficace des réformes de décentralisation (Caldeira et al., 2012). Ces effets hétérogènes tendent aussi à montrer que la décentralisation n’a pas profité à toutes les communes. Ces résultats trouvent un écho dans la littérature sur les effets inégalitaires de la décentralisation pouvant contribuer à une augmentation permanente des inégalités en favorisant les populations déjà avantagées (Prud’homme, 1995 ; Galiani et al., 2008).


Référence de l’article

Olivier B. Bargain, Rose Camille Vincent, Emilie Caldeira, Shine a (night)light: Decentralization and economic development in Burkina Faso, World Development, Volume 187, 2025, 106851, ISSN 0305-750X.

Références

1.    Abadie, A. (2005). Semiparametric difference-in-differences estimators. Review of Economic Studies, 72(1), 1–19. 
2.    Bardhan, P. (2002). Decentralization of Governance and Development. Journal of Economic Perspectives, 16(4), 185-205.
3.    Caldeira, E., Foucault, M., Rota-Graziosi, G. (2012). Does Decentralization Facilitate Access to Poverty-Related Services? Evidence from Benin. World Development, 40(9), 1737-1751.
4.    Callaway, B., & Sant'Anna, P. H. C. (2021). "Difference-in-differences with multiple time periods." Journal of Econometrics, 225(2), 200-230.
5.    Galiani, S., Gertler, P., Schargrodsky, E. (2008). School Decentralization: Helping the Good Get Better, but Leaving the Poor Behind. Journal of Public Economics, 92(10-11), 2106-2120.
6.    Henderson, J. V., Storeygard, A., Weil, D. N. (2012). Measuring Economic Growth from Outer Space. The American Economic Review, 102(2), 994-1028.
7.    Prud’homme, R. (1995). The dangers of decentralization. World Bank Research Observer, 10(2), 201–220.


Photo © IRD - Patrice Brehmer