Croissance et réduction de la pauvreté : évaluation dans un cadre longitudinal

Publié le 19 mars 2019 Mis à jour le 20 mars 2019
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le 19 mars 2019

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Croissance et réduction de la pauvreté : évaluation dans un cadre longitudinal

La croissance s'accompagne de changements distributifs exerçant un impact sur le niveau de pauvreté, mais les outils d’analyse existants se focalisent sur une approche instantanée de la pauvreté, négligeant ainsi les dynamiques individuelles de revenus. Notre étude se propose de combler ce vide.


Les relations entre processus de croissance et phénomènes distributifs font depuis longtemps l'objet d'études en économie. Au tournant de ce millénaire, l'attention s'est notamment focalisée sur le contenu, en termes de réduction de la pauvreté, de la croissance économique. A l'heure de la remise en cause du consensus de Washington et de la mise en place des politiques de réduction de la pauvreté dans le cadre des Objectifs du millénaire pour le développement, cette thématique de la croissance «pro-pauvres » a conduit au développement d'un certain nombre d'outils d'analyse maintenant communément utilisés, comme la courbe d'incidence de la croissance (Ravallion et Chen, 2003) ou le taux de croissance pro-pauvres (Kakwani et Son, 2003).

Une caractéristique commune de ces outils est de reposer sur une hypothèse traditionnelle d'anonymat autorisant l'emploi de séries en coupes transversales pour apprécier la façon dont le phénomène de croissance est associé à une évolution de la pauvreté. Néanmoins, puisque les individus ne sont alors pas suivis dans le temps, il est certes possible de commenter l'évolution de la pauvreté mais pas de rendre compte de la situation de ceux qui étaient initialement pauvres au début de la période étudiée.

Pour éviter cet écueil, des contributions ultérieures (Grimm, 2007 ; Jenkins et Van Kerm, 2011) ont proposé une approche dite « non anonyme » pour l'appréciation du caractère « pro-pauvres » ou non de la croissance économique. Le rôle de la mobilité peut ainsi être souligné dans les phénomènes distributifs accompagnant la croissance. Cette intégration a néanmoins été imparfaite en l'absence de prise en compte de la dimension temporelle de la pauvreté. En effet, en maintenant une conception «instantanée » de l'évaluation de la pauvreté, il n'est pas possible d'intégrer le caractère chronique ou transitoire de la pauvreté ou d'évaluer la situation des agents en tenant compte des dynamiques individuelles.

Afin de mieux apprécier le caractère plus ou moins « pro-pauvres » de la croissance, nous proposons une mesure basée sur la comparaison d'un indice de pauvreté intertemporelle et de la valeur qui serait prise par cet indice en l'absence de dynamique individuelle des revenus, autrement dit si chaque individu bénéficiait par la suite d'un niveau constant de revenus sur l'ensemble de la période étudiée. L'indice de pauvreté intertemporelle proposé offre la possibilité de pondérer deux effets antagonistes de la variabilité des revenus individuels en termes de bien-être social. D'un côté, la littérature économique reconnaît généralement l'existence d'un coût individuel en bien-être lié à l'instabilité des revenus, source de pertes de bien-être au niveau social. D'un autre côté, cette même variabilité produit généralement des inégalités en termes de revenus de longue période plus faibles que celles observées en coupe instantanée, ce qui modère l'effet de ces dernières inégalités.

Ces outils sont appliqués à 23 pays européens durant la période 2006-2009 en retenant 60% du revenu équivalent médian en 2006 comme ligne de privation à chaque période pour chaque pays. Nos résultats montrent que, malgré les difficultés économiques rencontrées, la croissance peut néanmoins être considérée comme « pro-pauvres » pour la majeure partie de ces pays au début de la Grande Dépression. L'étude des valeurs obtenues pour l'indice de croissance « pro-pauvres » révèle que ce résultat est essentiellement dû à une évolution relativement favorable de la distribution annuelle des revenus sur la période. Par ailleurs, nous montrons qu'un effet de croissance pure (c’est-à-dire en négligeant les effets redistributifs) a été réducteur de pauvreté, tandis qu'une évolution défavorable des inégalités produisait un effet contraire. Enfin, le caractère globalement « pro-pauvres » de la croissance entre 2006 et 2009 est essentiellement lié au caractère « pro-pauvres » de la croissance avant le début de la crise à la mi-2007, cette dynamique vertueuse s'étant étiolée par la suite.

Un autre résultat important est la forte hétérogénéité observée entre pays. Comparativement à leur situation initiale, les pays d'Europe de l’Est ont généralement mieux réussi à réduire leur niveau de pauvreté intertemporelle que les pays d'Europe de l'Ouest. Les pays nordiques ont encore moins bien réussi à faire que le processus de croissance soit, sur cette même période, générateur de réduction de la pauvreté. Il n'est néanmoins pas certain que le classement de ces différents groupes de pays soit maintenu pour des périodes plus tardives ou en considérant l'ensemble de la période relative à la Grande Dépression. Il est en effet fréquemment admis que les filets de sécurité en place dans ces pays et d'autres pays d'Europe de l'Ouest ont pu tempérer davantage les effets de la crise en termes de pauvreté que dans des pays où ces protections sont plus faibles.


Références

Grimm, M. 2007. “Removing the Anonymity Axiom in Assessing Pro-Poor Growth”, Journal of Economic Inequality, 5, 179-197.
Jenkins, S. and P. Van Kerm. 2011. “Trends in Individual Income Growth: Measurement Methods and British Evidence”, DP 5510, IZA.
Kakwani, N. and H. Son. 2003. “Pro-Poor Growth: Concepts and Measurement with Country Case Studies”, The Pakistan Development Review, 42(4), 417-444.
Ravallion, M. and S. Chen. 2003. “Measuring Pro-poor Growth”, Economics Letters, 78(1), 93-99.