Publié le 23 mai 2025 Mis à jour le 23 mai 2025

Actualité The Conversation. Ariane Tichit et Assem Slim proposent de créer le Coticoin, une monnaie publique, sociale et traçable.

par Ariane Tichit, Université Clermont Auvergne (UCA) and Assen Slim, Institut national des langues et civilisations orientales (Inalco)

Comment rendre visible ce que les cotisations financent réellement ? Comment créer une gouvernance des cotisations participative ? C’est l’objectif de Coticoin, une cryptomonnaie conceptualisée par deux chercheurs ; pour émanciper, pas pour spéculer. Avec le rêve d’organiser collectivement l’accès aux ressources en alimentation, santé, mobilité ou culture, en donnant aux citoyens un rôle actif dans les décisions stratégiques du système social français.


En février 2024, une étude publiée dans The Lancet révélait près de 900 cas de scorbut en France. Cette maladie, que l’on pensait disparue depuis les traversées maritimes du XVIIIe siècle, réapparaît aujourd’hui ; non par négligence médicale, mais par manque d’accès à une alimentation saine. Les victimes ? Des personnes précaires, touchées de plein fouet par la hausse des prix des fruits et légumes.

Cette situation ravive une idée débattue depuis plusieurs années : celle d’une d’une sécurité sociale de l’alimentation, garantissant un accès universel à une alimentation de qualité, sur le modèle de l’assurance maladie. Ce principe pourrait s’étendre à d’autres besoins vitaux –, logement, santé, mobilité, culture – comme le propose le sociologue et économiste Bernard Friot. L’objectif ? Organiser collectivement l’accès à ces ressources, financé par les cotisations sociales et géré démocratiquement.

Mais comment rendre visible ce que les cotisations financent réellement ? C’est pour répondre à cette question que nous proposons la création de Coticoin, une cryptomonnaie sociale expérimentale fondée sur la preuve de cotisation – ou Proof of Contribution. Ce dispositif rendrait traçables les flux issus des cotisations, en affectant chaque unité monétaire à un usage précis – alimentation, logement, santé, etc. –, avec une gouvernance participative. Ce faisant, Coticoin permet de reconnecter symboliquement et techniquement chaque cotisation à l’usage collectif auquel elle contribue. Cette visibilité renforce le sentiment d’appropriation citoyenne et ravive une idée forte : les cotisations ne sont pas des charges, mais une valorisation concrète de notre solidarité.

Transparence et pseudonymisation

Aujourd’hui, la Sécurité sociale fonctionne avec l’euro, une monnaie fongible – toutes les unités se valent et se mélangent sans distinction. Cette uniformité monétaire rend opaques le lien entre les contributions des citoyens et les services qu’ils financent. Avec Coticoin, chaque unité serait émise en contrepartie d’une preuve de cotisation et affectée à un usage défini – santé, logement, etc. Elle ne circulerait que dans un réseau conventionné par l’État.

La transparence de Coticoin concerne uniquement les flux agrégés : rendre visible l’affectation des ressources collectives, sans exposer l’identité des bénéficiaires individuels. Des dispositifs de pseudonymisation, similaires à ceux de certaines cryptomonnaies publiques ou projets étatiques, garantissent la confidentialité des individus. L’objectif n’est pas de surveiller, mais de s’assurer que les cotisations servent bien aux finalités prévues. Comme dans le régime actuel, le droit aux prestations découle de l’appartenance au régime, pas du montant versé. Coticoin reprend cette logique : chaque unité reflète une contribution donnant accès à des services universels. La solidarité demeure la clé du système.

Chaque transaction en coticoin serait inscrite dans un registre numérique infalsifiable, comme un grand cahier de comptes publics. Les flux de coticoins seraient ainsi consultables, impossibles à falsifier, assurant une gestion collective transparente et sans détournement. Les cotisants participeraient à l’émission de la monnaie, utilisable ensuite pour régler des prestations chez les acteurs conventionnés – médecins, hôpitaux, pharmacies, etc. Cette logique pourrait s’appliquer à d’autres domaines : alimentation, énergie, logement, culture. À l’image de la carte vitale pour les soins, Coticoin rendrait visible et contrôlable l’usage des cotisations dans un ensemble de réseaux dédiés. Ce modèle éviterait toute captation spéculative et renforcerait la traçabilité des dépenses.

Mécanisme du Coticoin

L’émission des Coticoins est assurée par un protocole algorithmique qui garantit une stricte correspondance entre les cotisations versées et les unités créées. Ces unités sont enregistrées dans une blockchain paramétrée, garantissant leur traçabilité. Cette mécanique matérialise la logique collective de la cotisation sociale : les fonds collectés financent exclusivement les services définis – santé, logement, énergie, culture, mobilité, alimentation, etc. – dans un cadre transparent, traçable et non spéculatif. Seuls les ayants droit du régime peuvent effectuer des transactions. Contrairement à un portefeuille personnel ou à un compte épargne, le Coticoin ne mesure pas une accumulation individuelle. Il matérialise une contribution à un droit social commun, utilisable par tous les membres du régime.

Faible consommation énergétique

Contrairement au Proof of Work (PoW) de Bitcoin ou au Proof of Stake (PoS), énergivores ou inégalitaires, Coticoin repose sur le Proof of Behavior (PoB) développé par Grollemund : avoir cotisé. Cette validation s’appuie sur des preuves sociales concrètes, comme l’authentification d’un versement, plutôt que sur des calculs complexes. La validation d’une transaction par preuve de cotisation consiste uniquement à vérifier que le payeur est bien membre du régime, et que les conditions d’usage sont respectées.

Les transactions sont vérifiées par les membres du régime ou des institutions conventionnées. Par exemple via l’authentification d’un versement dans une caisse. Pas de compétition, pas de récompense pour les plus puissants, mais une validation distribuée, rapide et peu coûteuse. Le processus est encodé dans la blockchain elle-même, assurant sécurité et fiabilité sans frais énergétiques inutiles. Chaque membre peut valider les transactions, à condition d’être cotisant. Des structures conventionnées – caisses, établissements – peuvent superviser les échanges, mais sans monopole. Cela remplace le « minage » par une logique sociale et collective, bien plus sobre sur le plan écologique.

Lorsqu’un service est payé en Coticoin, la transaction est immédiatement inscrite et consultable. Ce mécanisme garantit une transparence complète, une grande rapidité et un coût environnemental très faible. Sans intermédiaires financiers, le système automatise les flux tout en maintenant une efficacité maximale.

Gouvernance participative et décentralisée

Coticoin n’est pas seulement un outil monétaire, mais un instrument de démocratie économique. Chaque cotisant reçoit des jetons de vote, lui permettant de participer à des décisions collectives : financement d’un hôpital, développement des soins dentaires, ou investissements locaux. Ces consultations peuvent être organisées en ligne ou à intervalles réguliers. Chaque voix compte, selon des modalités égalitaires ou sectorielles. L’idée est de donner aux citoyens un rôle actif dans la gestion de la Sécurité sociale, plutôt que de la déléguer à des structures éloignées. Qui décide des remboursements prioritaires ? Quels investissements doivent être faits dans les hôpitaux publics ? Combien de logements sociaux doivent être construits ?

Cette approche s’inscrit pleinement dans la logique de démocratie économique portée par Bernard Friot : remplacer le marché et le crédit privé par une organisation collective des ressources. Coticoin renforce cette ambition en donnant aux citoyens un outil de pilotage concret des flux issus des cotisations sociales. Cette cryptomonnaie offre une alternative qui renforce la souveraineté populaire et la démocratie économique. La gouvernance devient directe : les cotisants décident ensemble, de façon décentralisée, transparente et continue. On passe d’un pouvoir représentatif à un pouvoir d’agir collectif.

Cryptomonnaie à contre-courant

Coticoin n’est pas une cryptomonnaie comme les autres, ni un simple outil technologique. Il représente une brique possible d’un projet de société plus vaste, fondé sur la démocratie économique, la transparence des circuits de redistribution et l’universalisation des droits sociaux.

L’univers des cryptomonnaies évoque souvent la spéculation, les bulles, ou les dérives libertariennes. Pourtant, ces technologies peuvent aussi servir des finalités sociales. Des initiatives citoyennes utilisent déjà la blockchain pour développer des monnaies locales, des outils de solidarité ou des budgets participatifs.

Coticoin s’inscrit dans cette veine : il ne cherche pas à remplacer l’euro ni à générer du profit, mais à incarner une monnaie publique, sociale et traçable. En rendant les cotisations visibles, il éclaire les circuits de solidarité, les contributions collectives et l’impact concret de la redistribution.

Il propose une autre manière de penser l’économie : non plus comme un espace dominé par le profit, mais comme un projet collectif démocratique, orienté vers la satisfaction des besoins essentiels.

Ce travail a bénéficié d'une aide de l'Etat français gérée par l'Agence Nationale de la Recherche au titre du programme “France 2030” portant la référence “ANR-16-IDEX-0001.The Conversation

Ariane Tichit, Maîtresse de conférences, Université Clermont Auvergne (UCA), CERDI and Assen Slim, Professor of international economics, Institut national des langues et civilisations orientales (Inalco)

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.

Illustration : Prise de la Bastille, Henry Singleton, Public domain, via Wikimedia Commons.