Publié le 30 janvier 2025 Mis à jour le 31 janvier 2025
Lieu(x)
Pôle Tertiaire - Site La Rotonde - 26 avenue Léon Blum - 63000 Clermont-Ferrand

Salle 213

Soutenance de thèse. Évaluation de l'impact et de l'efficacité des politiques de lutte contre les flux financiers illicites sur la stabilité économique et la mobilisation des ressources dans les pays en développement

 
Nibontenin Yeo 
CERDI, Université Clermont Auvergne
Ministère du Budget et du Portefeuille de l'État (MBPE), Côte d'Ivoire

Composition du jury

Michaël Goujon, Professeur, Université Clermont Auvergne, Direction de thèse
Delphine Lahet, Professeure, Université de Bordeaux, Rapporteure
Yao Séraphin Prao, Maître de conférences, Université Alassane Ouattara, Rapporteur
Bernard Salome, Docteur, Université Paris-Sorbonne, Examinateur
N’Galadjo Bamba Lambert, Maître de conférences, Université Felix Houphouët Boigny, Examinateur
Emmanuel Aka Brou, Professeur, Université Félix Houphouët Boigny, Codirection de thèse

Résumé

L'Agenda 2030 pour le développement durable, dans sa cible 16.4, appelle à une réduction significative des flux financiers illicites et des flux d'armes, ainsi qu'à la récupération des biens volés et à la lutte contre la criminalité organisée. Au fil des ans, les pays en développement ont subi la perte d'un volume important de ressources, ce qui a compromis leurs performances économiques et le financement de programmes d'investissement clés. C'est pourquoi des efforts ont été déployés au niveau mondial et national pour réduire de manière significative la criminalité financière et mieux contrôler ses effets néfastes dans les pays en développement.

Cette thèse a pour but d'examiner l'efficacité des politiques de lutte contre les flux financiers illicites (FFI) dans l’optique de garantir la stabilité économique et assurer une meilleure mobilisation des ressources dans les pays en développement. S'appuyant sur plusieurs cadres et outils politiques, des accords internationaux aux réglementations nationales, l'étude vise à mettre en lumière les impacts multiples de ces politiques sur la réduction des flux financiers illicites.

Le Chapitre 1 réinterroge l'efficacité de la liste noire comme outil politique pour améliorer la coopération et la conformité aux normes de lutte contre le blanchiment d'argent et le financement du terrorisme (LAB/CFT). Ce chapitre examine les changements dans les activités financières illicites à la suite de l’insertion sur liste noire de certaines juridictions jugées non coopérantes en matière de lutte contre les crimes financiers. L'évasion fiscale et le blanchiment d'argent se sont révélés être des contributeurs significatifs aux flux financiers illicites (FFI) dans les pays en développement. Les sociétés écrans canalisent souvent les flux de capitaux étrangers, motivés par des pratiques fiscales nuisibles plutôt que par des activités économiques réelles, entraînant des pertes de revenus pour ces pays. Malgré la mise en œuvre de mesures coercitives, telles que la mise sur liste noire de juridictions non coopératives, les activités financières illicites continuent d'éroder la base fiscale dans les pays en développement. Ce chapitre applique une stratégie de jumelage par score de propension (PSM) à un échantillon de 118 pays en développement sur la période de 2009 à 2017 pour évaluer les changements dans les activités financières illicites après la mise sur liste noire. Contrairement aux attentes, les restrictions financières ont entraîné un effet inverse, exacerbant les activités criminelles financières—un phénomène connu sous le nom d'effet boomerang. La part illicite dans les entrées de capitaux a augmenté en moyenne de six points de pourcentage et de 0,7 % du PIB après la mise sur liste noire. Ces résultats sont stables aux méthodes alternatives du PSM et tiennent compte des biais potentiels cachés. Notre analyse permet de dégager trois idées majeures : premièrement, les listes noires peuvent involontairement informer les évadés fiscaux et les blanchisseurs d'argent sur les destinations les plus favorables pour leurs activités ; deuxièmement, la mise sur liste noire peut affaiblir les juridictions dépourvues d'infrastructures réglementaires robustes, augmentant leur dépendance aux flux financiers; enfin, nous recommandons que la communauté financière mondiale renforce la coopération avec les pays mis sur liste noire en fournissant une assistance technique en matière d'administration fiscale, de mobilisation des ressources et de mise à jour technologique pour répondre aux normes LAB/CFT du GAFI.

Le Chapitre 2 évalue l'effet des accords d'échange d'informations bilatéraux sur les sorties financières illicites. Malgré une coopération accrue entre les juridictions pour combattre les flux financiers illicites, ces flux se sont intensifiés et sont devenus une préoccupation majeure, en particulier pour les pays en développement qui connaissent des sorties importantes. En utilisant une approche non paramétrique et dynamique des Différence de Différences et en contrôlant pour certains facteurs confondants, nous examinons l'effet causal de ces accords sur les sorties financières illicites dans un échantillon de 88 pays en développement de 2004 à 2013. Nos résultats indiquent que la coopération réduit efficacement les sorties illicites, mais cet effet ne se matérialise qu'après au moins trois ans de mise en œuvre.

Le Chapitre 3 explore les effets doubles de la digitalisation sur les crimes financiers et la mobilisation des ressources en Afrique. En analysant les données de 30 pays africains sur la période de 1995 à 2018, cette étude apporte des éclairages sur la manière dont les flux financiers illicites affectent la dynamique de mobilisation des recettes fiscales, dans un environnement marqué par le développement des technologies de l'information et de la communication (TIC). En utilisant une méthodologie de données de panel, nous trouvons que les recettes fiscales sont négativement impactées par les activités financières illicites. Cependant, l'intégration de la technologie numérique atténue les effets néfastes des crimes financiers sur la collecte des revenus de l’Etat. Par exemple, dans des scénarios excluant la technologie numérique, la fuite des capitaux impacte négativement l'impôt sur le revenu des sociétés (IRS), qui chute de    -0,046 de points de pourcentage. Inversement, avec les avancées technologiques, les effets combinés des TIC et de la fuite des capitaux sur l'IRS deviennent positifs, atteignant 0,224. Nous soutenons qu’une forte pénétration numérique pourrait servir d'alternative viable pour combattre les sorties illicites de capitaux et permettre ainsi de renforcer la mobilisation des revenus fiscaux.

Le Chapitre 4 réévalue le rôle du contrôle des capitaux et de la qualité institutionnelle dans l'atténuation de l'impact de la fuite des capitaux sur les variables macroéconomiques clés. Nous employons une méthodologie en panel VAR intégrée (IPVAR) pour atténuer plusieurs problèmes techniques, y compris l'endogénéité, et pour bien capter les effets des chocs en tenant compte des différentes orientations des politiques  du compte de capital et de la qualité institutionnelle. Les résultats suggèrent une capacité existante mais limitée du contrôle strict des capitaux à réduire les chocs de la fuite des capitaux sur la stabilité macroéconomique. Toutefois, des résultats meilleurs sont obtenus lorsque le cadre institutionnel est amélioré. Cela souligne le rôle catalytique de la gouvernance dans l'amélioration de l'efficacité des contrôles strictes de capitaux en période forte turbulence économique causée par la fuite des capitaux. Les implications de ces résultats sont doubles : premièrement, ils valident l'utilisation des contrôles des capitaux comme stabilisateur contre les effets de débordement de la fuite des capitaux qui compromettent le cadre macroéconomique interne ; deuxièmement, ils suggèrent que les pays en développement devraient combiner les contrôles des capitaux avec une qualité institutionnelle améliorée pour obtenir des politiques plus efficaces parfois atténuées par les coûts de transaction de mise en œuvre.

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