La mortalité maternelle en Afrique subsaharienne reste très élevée. Dans cette région, le ratio de mortalité maternelle est estimé à 536 décès pour 100 000 naissances vivantes avec de grandes disparités selon les pays. Cependant, la mesure de cette mortalité reste approximative car il est toujours impossible de l’estimer correctement, faute de données fiables.
La mortalité maternelle correspond au décès en cours de grossesse (quel que soit le terme de la grossesse) ou dans les 42 jours suivant l’accouchement, d’une cause quelconque liée à la grossesse ou à ses soins. Rapporter le nombre de décès maternels à 100 000 naissances vivantes sur une année donnée permet de mesurer le ratio de mortalité maternelle.
Carte du ratio de mortalité maternelle en 2020
(mortalité maternelle pour 100 000 naissances vivantes)
Une mortalité maternelle difficile à mesurer dans les Suds
Alors que la mortalité maternelle est faible et très bien estimée en Europe (moins de 10 pour 100 000), l’incomplétude des registres d’état civil et un accès limité des femmes enceintes aux établissements de santé posent des problèmes pour sa mesure aux Suds.
Si l’on prend l’exemple du Cameroun, on estime que près de deux tiers des enfants ne sont pas déclarés à la naissance, ce qui a aussi des conséquences sur l’estimation de la mortalité néonatale.
De plus, un tiers des femmes camerounaises accouchent à leur domicile (selon les derniers chiffres disponibles qui remontent à 2018), ce qui ne permet pas de savoir combien d’entre elles sont décédées des suites de leur grossesse ou de leur accouchement.
Méthode des sœurs et autres outils de mesure alternatifs
Il existe des méthodes alternatives pour mesurer la mortalité maternelle, dont :
- la méthode des sœurs : cette méthode est la plus utilisée à ce jour dans les pays à faibles et moyens revenus par les organismes internationaux et les chercheurs pour estimer la mortalité maternelle ; nous la détaillons plus loin.
- les Enquêtes RAMOS (Enquêtes sur l’âge de procréer et la mortalité) : elles ont pour objectifs d’identifier les décès maternels qui ont lieu au sein des institutions de santé et en population, en combinant différentes sources de données existantes. Une des limites réside dans la qualité des sources de données ;
- les études de surveillance démographique : elles sont chères, ce qui limite leur exhaustivité nationale ;
- les études issues des registres médicaux : elles ne recensent que les décès au niveau institutionnel alors que les taux d’accouchements en dehors du système de santé restent encore élevés, comme mentionné plus haut.
Revenons sur la méthode des sœurs. Elle fait appel à la mémoire des femmes enquêtées, tout en s’efforçant de minimiser les risques d’oublis et les erreurs de datation des événements. Elle consiste à demander à chaque femme de plus de 15 ans interrogée la liste et le rang de naissance de toutes les filles nées de sa mère biologique, puis à demander si chacune des sœurs est toujours vivante au moment de l’enquête.
Pour les sœurs décédées sont demandés l’âge au moment décès et le nombre d’années écoulées depuis le décès. Pour celles décédées à l’âge de 12 ans ou plus, des questions supplémentaires sont posées afin de déterminer si le décès était potentiellement lié à la grossesse, l’accouchement ou le postpartum.
Au Cameroun, évaluer l’efficacité du chèque santé
Au Cameroun, la mortalité maternelle reste un des grands problèmes de santé publique. Il se situait à 438 pour 100 000 naissances vivantes en 2020. Il est crucial de mettre en place des programmes pour réduire cette mortalité maternelle et de disposer d’outils pour mesurer leur efficacité.
Ainsi, en 2015, le gouvernement camerounais, avec l’appui de l’Agence française de développement (AFD), a mis en œuvre un dispositif baptisé « chèque santé » dans les trois régions du Grand Nord du pays qui sont les plus concernées par la mortalité maternelle.
Le chèque santé est un mécanisme de prépaiement des soins des femmes enceintes pour favoriser leur accès à ces soins. Il vise la réduction de la mortalité maternelle et néonatale à travers l’amélioration de la prise en charge de la femme enceinte.
La femme enceinte achète le chèque santé pour un montant de 6000 francs CFA (environ 10 €) et peut ensuite bénéficier d’un paquet de soins dans des formations sanitaires accréditées.
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Le chèque santé inclut : l’accès à au moins quatre consultations prénatales durant la grossesse, la prise en charge des soins liés à la grossesse, l’accouchement en formation sanitaire accréditée ou le transfert de la femme enceinte, en cas de complications, dans l’établissement de référence et le suivi postnatal jusqu’à 42 jours après l’accouchement.
Il est essentiel de pouvoir estimer la mortalité maternelle pour savoir si le chèque santé a effectivement eu un impact sur celle-ci.
Améliorer les estimations en croisant les approches
La mortalité maternelle, même si elle est toujours trop élevée, reste un événement rare qui requiert d’étudier un échantillon important de femmes pour détecter ses effets.
Ainsi, notre équipe a calculé qu’il aurait fallu enquêter auprès de 45 000 femmes. Pour des raisons budgétaires et de temps, une enquête aussi importante n’était pas envisageable. Nous avons donc choisi de nous tourner vers des données existantes, issues d’enquêtes auprès des ménages menées en population : les enquêtes démographiques et de santé (EDS).
La dernière enquête EDS conduite au Cameroun en 2018 intègre des questions relatives au déroulement de la grossesse et à l’accouchement qui sont posées aux femmes ayant eu une naissance d’un enfant né vivant dans les cinq années précédant l’enquête. Les femmes décédées ne pouvant être interrogées, la méthode des sœurs a été utilisée pour estimer la mortalité maternelle jusqu’à sept ans avant l’enquête.
Bien que cette méthode permette d’augmenter le nombre potentiel de décès maternels observés, elle reste insuffisante pour estimer correctement la mortalité maternelle. En effet, 14 000 femmes ont été interrogées et seuls 110 décès maternels ont été recensés entre 2012 et 2018 (entre 1 et 24 décès selon la région).
Par ailleurs, on peut s’interroger sur la qualité des données recueillies. Il est fort probable que les femmes interrogées, qui rapportent le devenir de leurs sœurs suite à une grossesse jusqu’à sept années en arrière, se trompent sur l’année et la cause du décès. Il est aussi possible que le décès d’une femme soit comptabilisé deux fois si plusieurs sœurs sont interrogées.
Relever le défi de la digitalisation des services d’état civil
En l’état actuel, les données des enquêtes démographiques et de santé ne permettent pas de fournir une estimation fiable de la mortalité maternelle dans les pays où elles sont pourtant les plus exhaustives et les plus utilisées. Tant que les méthodes indirectes seront utilisées, l’estimation de la mortalité maternelle restera approximative.
À l’ère du numérique, il est temps de développer les systèmes statistiques d’état civil pour recenser de façon exhaustive les naissances et les décès dans les pays à faibles revenus. C’est d’ailleurs l’intention du Bureau national de l’état civil (BUNEC) du Cameroun qui expérimente la digitalisation des services d’état civil dans certaines communes de l’extrême Nord du pays.
Ce procédé a pour objectif de faciliter l’enregistrement des naissances, ce qui permet d’obtenir l’acte de naissance en moins de 24 heures et de déclarer la naissance directement dans une formation sanitaire.
Néanmoins, pour que ce système soit à même d’être étendu à tout le pays, de nombreux défis restent encore à résoudre, comme les coupures d’électricité et le manque de personnel qualifié.
Marion Ravit et Martine Audibert ont toutes deux contribué en tant que co-autrices principales à la rédaction de cet article.
Marion Ravit, Docteure en Santé Publique, Chargée de Recherche, Institut de recherche pour le développement (IRD); Benjamin Fomba Kamga, Enseignant-chercheur, Université de Yaoundé II et Martine Audibert, Directrice de recherche émérite, Centre d'Etudes et de Recherches sur le Développement International, CNRS, UCA, IRD, Université Clermont Auvergne (UCA)
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.