Crises environnementales, sociales et économiques… le secteur financier ne peut faire l’économie de la prise en compte des effets de ses actions sur la société. L’investissement d’impact a émergé comme un moyen de prendre en compte ces problématiques en intégrant, à côté de la quête de rentabilité financière, l’atteinte d’objectifs sociaux et environnementaux. Si cette innovation financière est née et s’est surtout développée aux États-Unis et en Europe, elle gagne en popularité dans les pays émergents, notamment Africains.
L’investissement d’impact se distingue des autres formes d’investissement par deux principes cardinaux : l’intentionnalité et l’additionnalité. L’intentionnalité implique que les investisseurs d’impact cherchent un équilibre entre rentabilité et impact, alors que les investisseurs traditionnels prennent leur décision d’investissement uniquement à partir du retour financier espéré. Concrètement, cela implique qu’un investisseur d’impact va accepter un retour sur investissement réduit dans la mesure où l’investissement génère un effet positif pour la communauté qu’il soit économique, social ou environnemental. L’additionnalité implique, elle que les investisseurs d’impact ciblent en priorité des entreprises, secteurs ou géographies ignorés par les autres financeurs.
En dehors de ces différences, les investisseurs d’impact ont un mode de fonctionnement similaire aux autres investisseurs. Ils utilisent leurs capitaux (provenant de diverses sources) afin de les allouer pour financer des entreprises ou projets. Ils recourent le plus souvent à un financement par prise de participation c’est-à-dire un achat de titre de propriété pour une revente ultérieure avec une espérance de plus-value.
+15 % par an
Un intérêt croissant pour l’investissement d’impact se manifeste dans les pays en développement en général et en Afrique en particulier. Les financeurs publics et privés sont de plus en plus actifs pour offrir des solutions de financement aux investisseurs d’impact sur le continent. Un fonds de la Banque mondial, la « Private Sector Window » a été doté en 2017 de 2,5 milliards de dollars, dont une partie est fléchée vers l’investissement d’impact, afin de développer le secteur privé dans les pays à faible revenu. Des initiatives similaires ont vu le jour au niveau de l’Union européenne ou chez les bailleurs bilatéraux comme la France avec le programme « Choose Africa ». Dans le même temps, les grandes fondations accroissent leur soutien à l’investissement d’impact en Afrique à l’image de la Fondation Mastercard et de son programme dédié « Africa Growth Fund » doté de 200 millions de dollars.
Cet intérêt pour l’investissement d’impact en Afrique s’explique par un double constat. D’une part, les entreprises africaines souffrent d’un accès limité à des financements ce qui limite leur développement. Les banques, qui restent les principaux créanciers, sont rétives à prêter aux petites et moyennes entreprises (PME) en raison d’une balance rendement – risque défavorable. Pourtant, les entreprises ont de nombreux impacts positifs sur leur communauté. Les PME jouent un rôle majeur dans la réduction de la pauvreté, l’inclusion sociale, l’autonomie des femmes et la préservation de l’environnement.
Les réalités de l’investissement d’impact en Afrique restent malgré tout mal connues. Notre étude a tenté d’en apprendre davantage en recensant ces protagonistes, en accumulant des données sur chacun d’entre eux et en réalisant des interviews auprès d’un échantillon de gestionnaires de fonds.
Nous avons identifié 255 investisseurs d’impact opérant en Afrique, dont les actions sont caractérisées par quelques faits saillants. Le secteur est dominé par quelques fonds de taille importante. Les mégafonds, définis comme ayant plus d’un milliard de dollars d’actifs, gèrent plus de 80 % des actifs totaux bien qu’ils ne représentent que 18 fonds sur 255. Les principaux fonds sont américains ou européens, comme l’illustre le graphique suivant. À peine 15 % des actifs sous gestion sont dus à des fonds africains alors que les fonds européens et nord-américains gèrent 59 % et 19 % du total des actifs respectivement.
Quelques pays surtout anglophones concentrent la plupart des investissements. Trois pays, l’Afrique du Sud, le Kenya et le Nigéria concentrent plus des deux tiers des montants investis.
Bien que l’investissement d’impact ait une croissance soutenue sur le continent, +15 % par an au cours des cinq dernières années selon le Global impact investing network, cette augmentation reste modeste eu égard à ce qui est observé ailleurs. La croissance est de plus de 30 % aux États-Unis et en Europe sur la même période.
Procédures complexes, problématiques d’échelle
Cette croissance plus modérée de l’investissement d’impact s’explique difficilement par un manque de demande. Les investisseurs interrogés soulignent d’ailleurs que le potentiel est énorme, comme ce gestionnaire d’un fonds d’investissement d’impact localisé au Danemark et spécialisé dans le soutien aux entreprises à impact environnemental explique :
« Il existe de nombreuses opportunités d’investissement en Afrique pour notre fonds en raison de la dynamique démographique en Afrique, d’un pouvoir d’achat qui s’améliore et de nombreuses initiatives autour de la transition climatique. »
Ces acteurs relèvent cependant plusieurs facteurs qui les empêchent d’aller financer ces entreprises.
Tout d’abord, les fonds, notamment locaux et de taille modeste, peinent à lever les sommes nécessaires. S’il existe des initiatives publiques, comme celle de la Banque mondiale présentée plus haut, les procédures pour en bénéficier sont parfois tellement complexes que de nombreux acteurs ne peuvent y accéder.
Il est en outre difficile d’attirer les financeurs privés, qui parlent en centaines de millions de dollars quand les fonds locaux ne peuvent pas absorber plus de quelques millions. Autrement dit, les fonds locaux sont trop petits pour être dans le radar des grands investisseurs. C’est pourquoi les ressources disponibles sont surtout trustées par quelques fonds importants. Le directeur d’un fonds localisé en France et spécialisé sur l’Afrique en témoigne :
« Les fonds ont historiquement bénéficié des financements des institutions financières de développement mais ces acteurs sont de plus en plus réticents à soutenir les nouvelles initiatives sur le continent. »
Risques et manque de main-d’œuvre qualifiée
Un autre obstacle tient à la faible rentabilité des fonds sur le continent pour des raisons exogènes à leur gestion. Nos enquêtés ont souligné l’importance du risque de change qui pèse fortement sur la rentabilité. Les capitaux investis sont souvent libellés en monnaie forte alors que les investissements se font en devises locales. La rentabilité des investissements se réduit alors à chaque dépréciation de la devise locale. L’instabilité des devises est un problème récurrent dans de nombreux pays africains dans lesquels les fonds sont actifs comme au Nigéria, au Ghana ou au Kenya.
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Les investisseurs d’impact sont en outre souvent contraints d’attendre pour sortir dans des conditions plus favorables ou de revendre leurs titres aux dirigeants de l’entreprise qui n’ont pas la même surface financière qu’un investisseur international. Le gestionnaire d’un fonds d’investissement à impact américain opérant en Afrique déplore :
« Il est parfois compliqué de revendre nos prises de participation à la fin du cycle d’investissement faute d’une demande suffisante de la part d’autres investisseurs locaux ou internationaux. »
Un dernier défi porte sur la nécessaire professionnalisation des fonds d’investissement d’impact opérant en Afrique. Il reste, pour eux bien difficile d’attirer et de conserver une main-d’œuvre qualifiée sur des métiers particuliers comme la mesure d’impact dont ils ont besoin pour juger de la pertinence de leurs placements. Il existe un réel manque de travailleurs qualifiés dans ce domaine en Afrique. Et la rare main-d’œuvre disponible est souvent rapidement happée par d’autres structures, comme les organisations internationales qui offrent de meilleures perspectives. Notre gestionnaire américain le reconnaît :
« Nous manquons de compétences humaines notamment pour la mesure d’impact et les due diligence »
Voici quelques pistes qui semblent prioritaires afin de faire que l’investissement d’impact puisse devenir une solution de financement possible des entreprises à forts impacts en Afrique. À noter que d’autres obstacles qui auraient pu paraître importants n’ont jamais été cités par les interviewés. Par exemple, le degré de formalisation des entreprises ou la réglementation ne semblent pas être centraux du point de vue des investisseurs.
Florian Léon, Chargé de recherche, Fondation pour les Etudes et Recherches sur le Développement International (FERDI); Chercheur associé au CERDI (UMR UCA-CNRS-IRD), Université Clermont Auvergne (UCA) et Sitraka Rabary, Assistante de recherche en économie du développement, Fondation FERDI.
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.