Depuis les années 1990, la décentralisation s’est imposée comme une réforme majeure dans de nombreux pays en développement. Le transfert de compétences aux collectivités locales est présenté comme une voie vers une gouvernance plus proche des citoyens, une meilleure gestion des ressources publiques et, in fine, une réduction de la pauvreté.
Soutenue par les institutions de coopération internationale, elle est l’une des réformes du secteur public les plus marquantes des dernières décennies, notamment en Afrique subsaharienne et francophone, entre 1995 et 2005.
Au Burkina Faso, cette réforme a suivi une approche progressive : 33 communes ont été décentralisées en 1995, suivies de 16 en 2000, puis du reste du pays en 2005 et 2006.
Nos recherches incluent, entre autres, la fourniture de services publics dans les pays à revenu faible et intermédiaire, l’analyse des politiques publiques et les questions de décentralisation dans les pays en développement.
Dans une récente étude, nous offrons un nouvel éclairage grâce à une méthodologie novatrice, basée sur une approche quasi expérimentale et l’utilisation de données satellitaires, pour mieux comprendre les impacts réels de cette réforme. Nous expliquons comment les données satellitaires ont été utilisées pour évaluer l’impact de la politique de décentralisation au Burkina Faso.
Impact sur développement économique local
Ce déploiement progressif a permis d’établir des comparaisons rigoureuses entre les communes décentralisées à des périodes distinctes et celles demeurées temporairement sous contrôle central, offrant ainsi une opportunité rare d’isoler et d’identifier de façon plus crédible les effets de la réforme.
Les implications de cette réforme étaient multiples. Sur le plan politique, la réforme a permis l’organisation d’élections démocratiques locales et la mise en place de conseils locaux.
Sur le plan administratif, la décentralisation s’est traduite par une nouvelle structure organisationnelle, la création d’organes législatifs et une meilleure coordination avec les autorités centrales. Les communes et l’administration communale ont ainsi été effectivement chargées de diverses missions. Parmi elles, il y a la gestion des terres et de l’urbanisme, des ressources naturelles, des services de santé et d’hygiène, de l’éducation et de la formation professionnelle, de la culture, de la protection civile, de l’assistance et des secours, entre autres.
Sur le plan fiscal, les communes ont obtenu le pouvoir de lever des revenus à travers les taxes locales, les redevances, les droits d’usagers, ainsi que des transferts fiscaux du gouvernement central.
Comme le démontre l’étude, le principal avantage de la décentralisation au Burkina Faso pourrait avoir été un moindre degré de récession à la fin des années 1990 et au début des années 2000. Cela a témoigné d’une capacité accrue des premières communes décentralisées à atténuer les conditions économiques défavorables de cette période.
Densité de luminosité nocturne
Pour mesurer le développement économique local, nous avons ont utilisé la densité de luminosité nocturne – quantité de lumière artificielle émise ou perçue dans une zone donnée pendant la nuit – captée par satellite. Cet indicateur des activités économiques est particulièrement utile en l’absence d’un indicateur fiable de produit intérieur brut local. Il est largement utilisé dans la littérature en économie politique et en économie du développement.
Cet outil offre deux avantages majeurs : il est disponible pour l’ensemble des 351 communes sur une longue période et est comparable dans le temps, ce qui permet de contourner l’absence de données économiques locales fiables. Notre étude a également intégré des indicateurs complémentaires, tels que la densité des zones bâties, le degré d’urbanisation et un indice de bien-être calculé à partir des Enquêtes démographiques et de santé (EDSBF) comme variables alternatives à la mesure des conditions socio-économiques locales.
Les données utilisées dans notre étude couvrent la période de 1992 à 2010. Ce qui inclut une période bien antérieure à la première vague de décentralisation (1995) et s’étend longtemps après la dernière vague (2005). Cette couverture temporelle permet de mesurer les dynamiques avant et après chaque vague de réforme, tout en évaluant les effets à long terme pour les communes ayant été décentralisées dès la première vague.
Effets sur l’activité économique
Les résultats révèlent que les communes décentralisées dès 1995 ont enregistré une augmentation significative de leur activité économique, matérialisée par une intensité lumineuse accrue de 14 à 18 % par rapport aux communes décentralisées ultérieurement. Cette dynamique positive est également corroborée par des analyses complémentaires utilisant des indicateurs alternatifs à la densité lumineuse, tels que la densité des zones bâties et des indices de bien-être.
Cependant, l’impact de la réforme n’a pas été uniforme. Les communes dotées d’une forte capacité à générer des revenus propres, comme le confirment les données fiscales disponibles, ont su mieux tirer parti de l’autonomie acquise. En revanche, celles davantage dépendantes des transferts de l’État ou disposant de ressources limitées ont vu leurs gains restreints. Ces résultats mettent en évidence l’importance des ressources locales pour une mise en œuvre efficace des réformes de décentralisation.
Cette dynamique à deux vitesses met en lumière des inégalités, notamment entre les communes capitales des provinces décentralisées lors des premières vagues et celles intégrées plus tardivement dans le processus. Ces résultats font écho à la littérature sur les effets inégalitaires de la décentralisation, qui peut contribuer à une augmentation durable des inégalités en favorisant les populations déjà avantagées.
Les hubs économiques, comme Pouytenga et Niangoloko, ont enregistré des gains significatifs grâce à leur dynamisme préexistant, confirmant que la réforme tend à renforcer les capacités d’acteurs déjà avantagés (bien que ces cas aient été exclus des principales estimations). Pouytenga est la quatrième plus grande ville et constitue un centre important de commerce et d’activités commerciales. Niangoloko, située à la frontière entre la Côte d’Ivoire et le Burkina Faso, est un point d’entrée crucial pour ce pays enclavé. En revanche, les zones plus isolées ou dépourvues de capacités fiscales suffisantes ont eu du mal à suivre le même rythme de développement.
Les enseignements
La décentralisation n’est pas une solution miracle, mais elle peut offrir un cadre propice à une gouvernance plus inclusive et à un développement local soutenu. Au Burkina Faso, les résultats montrent que les communes dotées de ressources propres inexploitées, même lorsqu’elles présentaient un niveau d’activité très bas au départ, ont su tirer parti de cette réforme, tandis que d’autres ont vu leurs ambitions freinées par des inégalités structurelles.
Un accès accru à des outils modernes de gestion et une redistribution plus équilibrée des ressources nationales apparaissent comme des leviers pour atténuer les disparités.
Simplifier les procédures fiscales, encourager les partenariats public-privé et améliorer la coordination entre les différents niveaux de gouvernance pourraient également jouer un rôle essentiel.
Ces pistes, bien qu’indirectes, montrent que le développement local repose sur une interaction complexe entre capacités locales et soutien central.
La décentralisation au Burkina Faso offre des leçons essentielles pour les pays en quête d’amélioration de leur gouvernance locale. Si elle n’a pas résolu toutes les inégalités, elle a permis à plusieurs communes de progresser dans leurs objectifs.
Cette expérience montre que les réformes institutionnelles doivent être accompagnées d’investissements ciblés et d’un renforcement des capacités pour que leurs bénéfices soient pleinement réalisés.
Rose Camille Vincent, Assistant Professor, Utrecht School of Economics, Utrecht University; Émilie Caldeira, Maître de conférences, Université Clermont Auvergne, CNRS, IRD, CERDI, F-63000 CLERMONT FERRAND, France., Université Clermont Auvergne (UCA) et Olivier Bargain, Professeur, Directeur du magistère de sciences économiques, Université de Bordeaux
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.
Photo : Une vue aérienne de la ville de Kaya, dans le nord-est du Burkina Faso. Olympia de Maismont/AFP via Getty Images