Aide de la Chine à l'Afrique : les déterminants varient selon les secteurs

Publié le 19 juin 2019 Mis à jour le 20 juin 2019
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le 20 juin 2019

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Aide de la Chine à l'Afrique : les déterminants varient selon les secteurs


Les travaux qui se sont jusqu'ici intéressés aux déterminants de l'aide chinoise ont considéré l'aide globale de la Chine à l'Afrique. Dans cet article, nous adoptons une approche différente et nouvelle dans la littérature. Nous montrons que la désagrégation de l’aide par secteur est nécessaire, faute de quoi des hétérogénéités sont occultées, ce qui conduit à des conclusions réductrices.

L'intérêt de la Chine pour l'Afrique n'est plus à souligner. Il a été réaffirmé avec force lors du 7ème Forum sur la Coopération sino-africaine (FOCAC) qui s'est tenu à Pékin en septembre 2018. Dans le préambule du programme d'action adopté, les deux parties attestent de leur conviction que « l'Afrique est un partenaire important de la coopération pour les nouvelles routes de la soie (Belt and Road). Elles s'engagent à tirer parti des atouts du Forum et à soutenir la Chine et l'Afrique dans la construction conjointe de la Ceinture et de la Route ».

Depuis le premier FOCAC de 2000, l'aide chinoise à l'Afrique s'est considérablement accrue. La Chine est aujourd'hui l'un des principaux « nouveaux donateurs » en matière d'aide publique au développement à l'Afrique. Plusieurs études se sont interrogées sur les motivations (les déterminants) de cette aide. L'une des grandes conclusions en est que l’aide chinoise sert au premier chef les intérêts spécifiques de la Chine. Les principales raisons de l'aide de la Chine à l’Afrique seraient de garantir son accès aux ressources naturelles des pays africains, de favoriser ses exportations et sa participation à la construction des infrastructures tout en élargissant son influence internationale. La Chine, pour sa part, réitère dans le programme d’action du FOCAC 2018 que son aide est allouée en réponse aux besoins exprimés par les pays bénéficiaires, dans une perspective de coopération mutuellement bénéfique, en respectant le principe de non-ingérence dans les affaires intérieures des États.

Les travaux qui se sont jusqu'ici intéressés aux déterminants de l'aide chinoise ont considéré l'aide globale de la Chine à l'Afrique. Dans cet article, nous adoptons une approche différente et nouvelle dans la littérature. Nous considérons que les déterminants de l'aide de la Chine à l'Afrique ne sont probablement pas identiques selon les secteurs de destination. Nous reprenons la classification par secteur d’aide de l’OCDE, distinguant entre secteurs sociaux, de services et d’infrastructures économiques (désignés par « secteurs économiques » ci-après), et de production. Nous reprenons la typologie des déterminants de l’aide utilisée dans certains travaux (besoins et mérites du pays bénéficiaire, intérêt du bailleur) et nous cherchons à répondre à quatre questions. i) L’aide de la Chine aux secteurs sociaux n’est-elle pas davantage influencée par les besoins des pays que l’aide aux secteurs économiques et de production ? ii) Quel que soit le secteur, l'aide chinoise ne devrait-elle pas ne pas être influencée par la qualité de la gouvernance du bénéficiaire, compte tenu du principe de non-ingérence dans les affaires intérieures des États, qui est l'un des principes affirmés de l'aide et de la politique étrangère chinoises ? iii) Les intérêts économiques de la Chine ne doivent-ils pas jouer un rôle plus important dans l'aide aux secteurs économiques et de production que ce n'est le cas pour l'aide aux secteurs sociaux ? iv) L'aide aux secteurs sociaux – élément important du soft power - est probablement plus influencée par les intérêts politiques de la Chine sur la scène internationale que son aide aux autres secteurs.

Les principales spécifications économétriques de l’étude reposent sur des régressions de Poisson. Nous utilisons différentes variables pour spécifier l’aide de la Chine et caractériser les besoins, mérites des pays bénéficiaires et les intérêts de la Chine.

Quatre conclusions principales se dégagent de l’analyse. Tout d’abord, l'allocation de l'aide aux secteurs sociaux est davantage influencée que l’aide aux autres secteurs par les besoins des pays, tels qu'ils sont reflétés par le PIB par habitant ou par l'indicateur de développement humain. Deuxièmement, les pays qui ont une gouvernance de faible qualité, mesurée par deux indicateurs captant le contrôle et la perception de la corruption, tendent à recevoir plus d'aide chinoise dans les secteurs économiques et de production, alors qu’il n’y a pas de relation significative entre corruption et aide aux secteurs sociaux. Troisièmement, nos résultats indiquent que les pays africains ayant une dotation en ressources naturelles comparativement élevée tendent à recevoir davantage d'aide pour les trois secteurs considérés ; il en est de même pour les secteurs économiques et sociaux pris isolément. Quatrièmement, il apparaît que l'adhésion à la politique de « une seule Chine », c'est-à-dire la non-reconnaissance de Taiwan, est une condition réellement discriminante en matière d'allocation de l'aide chinoise. Les pays qui sont alignés sur la Chine lors des votes à l'assemblée générale des Nations unies ont également bénéficié d’une aide plus importante, notamment pour les secteurs sociaux.

Les résultats de cette étude montrent ainsi que l'allocation de l’aide aux trois grands secteurs sociaux, infrastructures économiques et production, n'est pas influencée par les mêmes déterminants. Considérer globalement l’aide de la Chine conduit donc à une vision réductrice et, sur certains points, erronée, des motivations de l'aide chinoise aux pays africains.
D’autres résultats soulèvent des questions importantes de par leurs implications politiques potentielles. La relation positive entre les indicateurs de corruption et l'aide aux infrastructures économiques conduit à se demander si les besoins de dépenses récurrentes des projets bénéficiant de l'aide chinoise ont été correctement pris en compte par les États dans leur cadre de dépenses publiques à moyen terme. Cette préoccupation est renforcée par l'ignorance que l'on a des effets de l'aide chinoise, largement allouée sous forme de prêts, sur la soutenabilité à moyen terme de la dette publique, laquelle est devenue un motif d'inquiétude en de nombreux pays africains. Enfin, certains éléments suggèrent que l'aide chinoise tend à favoriser les pays riches en ressources naturelles avec une gouvernance de médiocre qualité. On peut alors se demander si le principe chinois de non-ingérence dans les affaires intérieures des États ne renforce pas l’inclination de certains à prendre leurs distances par rapport aux exigences des initiatives internationales en matière de transparence et de rigueur dans la gestion des ressources naturelles. Par ailleurs, la corrélation positive que nous trouvons entre l’aide des pays du CAD et l’aide de la Chine aux secteurs économiques et de production renvoie à l’épineuse question de la fragmentation de l’aide et au besoin de coordination entre bailleurs qui en découle, ce à quoi la Chine s’est montrée jusqu’ici peu favorable.