INTERVIEW : Patrick Plane

Publié le 25 avril 2024 Mis à jour le 3 mai 2024
Date(s)

le 25 avril 2024

Entretien avec Patrick Plane, Directeur de recherche CNRS, Directeur du CERDI de 2000 à 2013

Patrick Plane recevra la médaille d'honneur du CNRS pour l'ensemble de sa carrière le vendredi 3 mai 2024. Nous vous proposons une discussion sur son parcours qui est étroitement lié à l'histoire de notre laboratoire. Il partage dans cet entretien sa vision de l'avenir du CERDI et de la recherche en économie du développement.


Patrick Plane 
Directeur de recherche, CNRS-UCA-IRD
Responsable du programme Observatoire de la compétitivité durable, Ferdi

Pourquoi avoir choisi une carrière dans la recherche en économie du développement ?

En vérité, ce n’est ni une vocation précoce, ni le fruit du hasard puisque c’est le résultat d’une formation. J’ai fait mes études supérieures à Clermont-Ferrand. Au terme de la maîtrise (4e année), nous avions un stage à effectuer à l’étranger. Je suis parti à Ouagadougou qui était alors la capitale de la Haute-Volta, aujourd’hui le Burkina Faso, dans le cadre d’un stage pour la Caisse Centrale de Coopération Économique qui deviendra plus tard l’Agence française de développement (AFD). Ce séjour a suscité ma curiosité intellectuelle pour les dynamiques de développement, curiosité qui a inspiré une inscription en thèse.

Déjà, et malgré sa “jeunesse”, 4 ans, le laboratoire CERDI avait de la visibilité. Donc, j’y ai mené ma recherche doctorale à partir de 1980, juste après mon service militaire. Sylviane Guillaumont Jeanneney, cofondatrice du CERDI, conduisait des recherches sur l’économie monétaire du développement. Comme je m’intéressais aux questions de taux de change, Sylviane était la directrice de thèse idéale. Elle a été très présente tout au long de ma carrière, ce qui s’est traduit par de nombreuses collaborations.

Quels sont vos thèmes de prédilection ?

L’origine de ma thèse était en relation avec la problématique des taux de change d’équilibre. De fait, l’économie monétaire et du change est donc l’un de mes sujets d’intérêt. Progressivement, j’ai étendu ce champ à de nouvelles thématiques comme la gestion des entreprises publiques, la dynamique du secteur privé et ses déterminants.

A la fin des années 80 et au début des années 90, de nombreux raisonnements économiques portaient sur ces questions. Le secteur public s’était considérablement élargi dans les pays africains, pas toujours avec l’efficacité attendue. La préoccupation était, alors, de réfléchir à la manière de les assainir par des processus pouvant impliquer des liquidations d’entreprises. Bien évidemment, pour les grands services publics comme l’eau et l’électricité, la stratégie impliquait la restructuration dans le cadre public ou la privatisation sous des formes variées. Le secteur privé a donc pris le relais du secteur public, y compris dans mon domaine de recherche jusqu’à cette phase nouvelle que nous connaissons actuellement de partenariats public-privé.

Quels sont les avantages et inconvénients de la situation géographique du labo ?

Je dirais que le positionnement géographique du CERDI ne joue pas en sa faveur. Il faut tout le dynamisme des hommes et des femmes pour que la ville de Clermont soit attractive et le soit effectivement avec une population étudiante qui représente un tiers des habitants intra-muros. Faire de l’économie internationale à Clermont ne va pas de soi. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle ceux qui nous visitent s’interrogent et nous questionnent sur cette présence impromptue d’un laboratoire affichant cette thématique, au cœur d’un massif enclavé. La réponse est tellement connue de ceux qui connaissent le CERDI qu’elle n’appelle pas de longs commentaires. Ce fut avant tout la ténacité et la force de conviction de Sylviane et Patrick qui ont fait leur la formule de Schopenhauer : vous n’avez aucune chance, mais saisissez là… La volonté de nourrir une exigence scientifique patiemment construite, une production de connaissances visible et influente dans la sphère publique, ont permis de nouer des relations de confiance avec des institutions, des professeurs étrangers de grande qualité, de susciter ultérieurement des mouvements de chercheurs ayant la passion du développement chevillée au corps et aspirant à travailler dans un cadre stimulant.

Comment voyez-vous l'avenir de la recherche en économie du développement ?

L’avenir appartient au domaine. Le développement est l’affaire de toutes les économies même si les pays à faible revenu ou à revenu intermédiaire sont davantage sujets d’attention pour le laboratoire. Au sein de cette discipline, j’observe que la macroéconomie a perdu de son importance. Les étudiants qui se destinent à la recherche s’intéressent beaucoup plus que par le passé à la microéconomie. Il y a de nombreuses raisons à cela, pas seulement associées au recrutement d’enseignants et de chercheurs plus sensibles à cette dimension de l’analyse. Le centre de gravité académique s’est déplacé vers la microéconomie. Ce changement reflète sans aucun doute l’évolution de la société internationale. L’après seconde guerre mondiale faisait la part belle aux politiques publiques de stabilisation et de promotion de la croissance. Avec la vague libérale des dernières décennies, les processus de globalisation et de mondialisation, la fécondation d’analyses pluridisciplinaires, l’éclairage qui était sur l’État s’est déplacé vers le marché, les organisations productives et les ménages. Par ailleurs, les microprocesseurs et logiciels de statistique ont favorisé le traitement de gros fichiers de données. Un repli s’est donc opéré sur des sujets plus microéconomiques. Le mouvement est-il irréversible ? Rien n’est moins sûr. Le balancier semble même amorcé. Les crises financières et sanitaires de ces quinze dernières années, la recomposition des chaînes de valeurs et le renouveau des politiques industrielles sur des critères de souveraineté semblent redonner de l’épaisseur aux interventions publiques.

Vous avez été Directeur du CERDI plus d'une dizaine d'années, est-ce que ce centre de recherche qui va bientôt fêter ses 50 ans, a toujours autant d'influence sur la recherche en économie du développement ?

Effectivement, le CERDI et son administration m’ont occupé presque 13 années. Quand on m’a proposé de devenir Directeur du centre de recherche en 2000, juste deux ans après ma promotion comme Directeur de recherche, j’avoue avoir été étreint par l’angoisse. Les chapitres précédents avaient été admirablement bien écrits par Patrick Guillaumont et Sylviane Guillaumont Jeanneney. Le CERDI avait une visibilité internationale et un réseau impressionnant, un réseau qui est toujours au service du Pôle Clermontois de développement international (PCDI). C’était un défi de prendre la relève.

Je constate aujourd’hui que le CERDI est toujours là avec des atouts qui n’ont fait que se bonifier avec le temps de sorte qu’il constitue une évidente réussite. Au moment où je prends ma retraite, je fais le constat que, collectivement, nous avons réussi à institutionnaliser le laboratoire qui continue de faire progresser sa visibilité internationale sur des questions de recherches bien délimitées. Les deux tutelles originelles, l’Université Clermont Auvergne et le CNRS, ont joué leur rôle dans l’écriture de la partition. Je n’ai pas de doute que l'Institut de recherche pour le développement (IRD), qui les a rejoints dans les toutes dernières années, fera de même. Avec grand plaisir, je vois que le laboratoire reste dans la course, qu’il défend « sa niche », que mes successeurs ont fait les bons choix stratégiques. Ces choix et efforts ont résulté de la qualité des recrutements d’enseignants et chercheurs tendus vers des objectifs de publication dans des revues internationales de référence. Le laboratoire offre toujours une belle ouverture sur l’extérieur, notamment par son réseau des anciens du CERDI et de l’École d’économie de Clermont. Nombre de nos anciens ont été recrutés par le Fonds monétaire international (FMI), la Banque mondiale, et bien d’autres organismes nationaux et internationaux dont tout le monde connaît l’exigence. Par-delà les publications et l’aide aux décisions publiques, il faut voir dans l’insertion professionnelle de ces anciens, restés fidèles à leur matrice de formation, une preuve de reconnaissance du travail collectif.