INTERVIEW : Grégoire Rota-Graziosi « 45 ans, c’est un bel âge »

Publié le 18 février 2022 Mis à jour le 27 juillet 2023
Date(s)

le 18 février 2022

Entretien avec le directeur du Cerdi

INTERVIEW : Grégoire Rota-Graziosi « 45 ans, c’est un bel âge »

Quels sont vos sujets de recherche ?

Mes sujets de recherches s’axent principalement sur les questions de politique fiscale dans les pays en développement, ainsi que les questions de dépense publique. Dans le passé, j’ai travaillé sur les questions de décentralisation en particulier au Bénin avec un financement du National Bureau of Economic Research.

Qu’est-ce qui vous a convaincu de revenir au CERDI et d’en assurer la direction ?

J’ai découvert le CERDI un peu par hasard en remplaçant un ami et ancien de l’Ecole normale supérieure de Cachan comme PRAG (professeur agrégé) à l’IUT d’informatique de Clermont-Ferrand. J’ai ensuite été recruté comme maître de conférences, puis j’ai passé l’agrégation du supérieur pour être professeur des universités. Je suis parti cinq années à Washington en tant qu’économiste principal dans la division de politique fiscale du FMI. Entré en mid-term carrière, j’avais un poste au FMI. Il y avait beaucoup d’avantages, les salaires sont conséquents, mais vous perdez un peu la liberté de pouvoir travailler sur les sujets qui vous intéressent. Mon épouse et moi avons décidé de rentrer en Europe. Entre plusieurs opportunités, le choix du CERDI était assez rapide par sa réputation et la qualité de vie en Auvergne.

Comment s’insère le CERDI dans l’écosystème universitaire mondial ?

Nous sommes un laboratoire de l’Université Clermont Auvergne (UCA). Le CERDI est un centre de recherche mais également de formation. Nous avons également comme tutelle le CNRS (Centre national de recherche scientifique), qui nous permet d’avoir des chercheurs CNRS et d’augmenter notre taille critique. Si nous n’existions que par l’UCA, nous serions assez limites en nombre de postes. Le CERDI est aussi en discussion avec l’IRD (Institut de recherche pour le développement), nous accueillons une chercheuse de cet Institut. Nous avons également d’excellentes relations avec l’Agence française de développement, la DG DEVCO de la Commission de l’Union Européenne… Un de nos chercheurs associés est membre de l’Organisation mondiale des douanes. Au-delà de la taille actuelle du CERDI, 40 chercheurs et 90 doctorants, les 45 ans d’existence du CERDI ont permis d’essaimer les docteurs formés à Clermont-Ferrand à de très hautes fonctions dans les institutions internationales ou nationales. Nous avons effectivement des relations privilégiées avec l’Afrique francophone. Nous avons des partenariats plus ou moins formalisés avec une multitude d’acteurs. Ce peut être des relations personnelles ou des relations institutionnalisées. Le FMI propose un programme de recrutement pour des jeunes docteurs d’une vingtaine de places chaque année. Plusieurs docteurs du CERDI ont intégré ce programme très sélectif. Pour la Banque mondiale, c’est la même chose. Lorsque je travaillais à Washington, la Banque mondiale considérait le CERDI comme le premier centre de recrutement non anglophone.

Le CERDI est installé à Clermont-Ferrand. Est-ce que l’école pourrait être ailleurs ?

Oui, les économistes peuvent travailler n’importe où. Par rapport à nos collègues d'un laboratoire comme Magmas et Volcans par exemple, qui trouvent ici un volcan à leur portée. Historiquement, nous sommes à Clermont-Ferrand parce que les fondateurs Patrick et Sylviane Guillaumont ont créé le CERDI, ici. Il ne faut pas se cacher un problème d’enclavement. Pour recruter des chercheurs, jeunes ou confirmés, il faut penser à leurs conjoints et les opportunités d’emploi ne sont pas aussi importantes à Clermont-Ferrand qu’à Lyon, Paris ou Marseille. Pour attirer les jeunes chercheurs français ça peut devenir complexe. Je ne vous cache pas qu'on essaie d’attirer des chercheurs étrangers. L’attrait de Paris est plus relatif pour les Européens que pour les Français. Pour les étudiants en revanche, il n’y a pas de problème, c’est même un atout. A Clermont-Ferrand, la vie est moins chère, les étudiants travaillent. Je pense que c’est mieux qu’ils soient là pour étudier plutôt qu’à Paris. Souvent on rencontre d’anciens CERDIens qui gardent un souvenir toujours émerveillé de Clermont-Ferrand.

D’où viennent les étudiants ?

60 % des doctorants viennent d’Afrique ou de pays en développement, et ils sont passés par l’École d’économie de Clermont-Ferrand. Les étudiants français sont recrutés sur tout le territoire. Grâce au programme en anglais, avec le master Erasmus Mundus Glodep nous recensons quelques étudiants anglophones en thèse. Du côté des enseignants chercheurs, il y a un gros noyau d’Auvergnats, beaucoup de Français mais aussi des Italiens, Brésiliens, Sénégalais, Béninois, Chinois...

Quels sont les projets pour l’avenir ?

L’une des perspectives pour le CERDI, c’est de se renforcer, surtout au niveau des chercheurs du CNRS, d’attirer des chargés de recherche ou des directeurs de recherche CNRS. L’Université Clermont Auvergne a une contrainte budgétaire et ne peut ouvrir que quelques postes de maîtres de conférences ou de professeurs en économie. Nous explorons aussi l’interdisciplinarité. Nous pouvons recruter des anthropologues, des ethnologues, des sociologues, des chercheurs dans d’autres disciplines qui partagent la même approche empirique que nous : valider les hypothèses formulées par des tests empiriques. Nous pouvons même travailler avec des historiens. Depuis le début il y a des ethnologues et des anthropologues au CERDI, même si nous avons une dominante d’économistes. La recherche a évolué en économie comme dans les autres disciplines et elle fonctionne désormais essentiellement par des réponses à des appels d’offres de l’Agence nationale de recherche (ANR) ou de l’Union européenne. Les agences de recherches valorisent l’interdisciplinarité, donc pour décrocher des financements de projets il faut avoir une ouverture multidisciplinaire. Cela nous permet de travailler sur de nouvelles questions, même si l’économie doit rester le cœur intellectuel de nos recherches.

Quel rôle tient le CERDI dans le monde de la recherche ?

Le premier rôle du CERDI est de former des docteurs. Quand ils intègrent des institutions prestigieuses, les politiques même de ces institutions dépendent des personnes qui sont aux manettes. Pour exemple, ce ne sont pas Dominique Strauss-Kahn ou Christine Lagarde qui dictent comment écrire un rapport sur la politique fiscale d’un pays. Donc grâce à la formation, le CERDI influence les institutions dans lesquelles ses anciens étudiants travaillent. Le CERDI participe à un labex (un laboratoire d’excellence), Initiative pour le développement et la gouvernance mondiale (IDGM), avec la Ferdi et l’Iddri. La Ferdi est une fondation, basée a Clermont-Ferrand, et l’Iddri, un think tank qui facilite la transition vers le développement durable, créé par Laurence Tubiana. Ces organisations ont pour vocation d’influencer les politiques publiques en s’appuyant sur de la recherche. La recherche est fournie essentiellement par le CERDI. C’est un montage avec la volonté de proposer une alternative aux think tank américains qui occupent la K Street, une rue juste derrière le capitole, dans laquelle sont installés de nombreux lobby. Ils peuvent être très influents sur ces institutions internationales, et même fédérales pour les Etats-Unis. Le labex IDGM permet de fournir une alternative, de pousser et de mettre en valeur les pays francophones.

A vos côtés, outre la Ferdi, d’autres institutions peuvent enrichir la réflexion ?

Le Global Development Network, qui était historiquement une initiative de la Banque mondiale, est une organisation internationale indépendante historiquement basée à New-Delhi. Elle a cherché à se relocaliser en Europe. Clermont-Ferrand, grâce notamment à l’initiative de la Ferdi, a été choisie parmi d'autres villes d’Europe. Le GDN favorise la recherche au Sud, faite par le Sud. Ces recherches couvrent les questions d’économie mais pas seulement. Elles ouvrent sur beaucoup d’autres champs disciplinaires. Le GDN est une petite structure d’une dizaine de personnes qui développe un énorme réseau dans les pays en développement. Elle organise tous les deux ou trois ans une grande conférence alternativement dans un pays du Sud et a son siège qui sera désormais à Clermont-Ferrand. 800 à 900 chercheurs assistent à cet évènement. Le GDN met en réseau des chercheurs du Sud pour répondre à des appels à projets sur des thématiques agricoles, d’infrastructures routières, ou d’autres. Il fait travailler les chercheurs au Sud pour influencer et améliorer les décisions publiques. C’est une chance, peu de villes en France accueillent une institution internationale.

Qu’est-ce qui fait l’esprit du CERDI ?

Le CERDI se renforce avec le CNRS et gagne toujours en attractivité. Je suis impressionné par le fait que les étudiants viennent des quatre coins du monde, se retrouvent ici, échangent… puis repartent au bout de quelques années. Mais les anciens passent dire bonjour souvent, alors qu'’ils occupent des postes a responsabilité. Certains des premiers étudiants du CERDI sont déjà à la retraite et reviennent à Clermont-Ferrand. Et puis nous avons fêté nos 45 ans. C’est très important pour un centre de recherche. D’autant plus que nous avons gardé notre nom qui n’a pas changé au fil des ans. 45 ans, c’est un bel âge.