Les innovations financières contribuent-elles à l’occurrence de crises sur la dette souveraine ? Le cas des CDS

Publié le 18 décembre 2018 Mis à jour le 19 décembre 2018
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le 19 décembre 2018

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Les innovations financières contribuent-elles à l’occurrence de crises sur la dette souveraine ? Le cas des CDS

Le jugement porté sur les innovations financières a toujours été ambigu. D’une part elles sont perçues comme un instrument d’efficacité en permettant notamment une meilleure gestion du risque et une liquidité accrue des marchés. D’autre part, elles peuvent être une source d’instabilité accrue du système économique. Cet article s’intéresse aux effets macroéconomiques d’un produit dérivé : les couvertures sur défaillance, encore appelées dérivées sur évènements de crédit de la dette publique (crédit default swap). Ce produit dérivé peut être assimilé à un contrat d’assurance contre le risque de défaut d’une dette publique.
 

Il existe une vaste littérature sur les effets des innovations financières. Pour les partisans d’une efficience des marchés financiers qui s’inscrivent dans la lignée des travaux de Fama, l’innovation financière sur des marchés dérèglementés permet des gains d’efficacité. Ses effets sont donc aussi bénéfiques que ceux de l’innovation technologique. Au contraire, de nombreux économistes soulignent que l’innovation financière est une source potentielle d’instabilité. Ils s’inscrivent ainsi dans une tradition considérant que la spéculation financière est déstabilisatrice. Minsky est l’un des représentants les plus importants de cette tendance.

Notre article se focalise sur les effets macroéconomiques d’un produit dérivé : le crédit default swap pour la dette souveraine (CDS). Ce produit, apparu en 1995, a connu un développement rapide dans les années 2000. Mais il a été considéré comme ayant joué un rôle aggravant dans la crise financière de 2007-2008 et dans la crise des dettes souveraines de 2011 en Union européenne.

Pour les défenseurs du CDS, celui-ci améliore l’efficacité des marchés de la dette publique, réduit les taux d’intérêt des emprunteurs souverains et facilite ainsi l’accès à l’endettement international. A contrario, il est reproché au CDS, qui facilite l’endettement public, d’accroître mécaniquement les risques de défaut. De plus, un CDS peut en principe être acheté par un investisseur qui n’est pas exposé au risque sur la dette publique de référence (CDS dit « à nu » ou « naked » CDS). Cela revient donc pour son détenteur à bénéficier d’une assurance sans supporter le risque qu’elle est censée couvrir. Des effets d’aléa moral peuvent se manifester puisque l’investisseur (ou le spéculateur) pessimiste quant aux capacités de remboursement de l’emprunteur peut exploiter l’effet de levier du produit dérivé. Plus le risque de défaut de paiement est élevé, plus le prix du CDS augmente. Dans ces circonstances, le coût de l’emprunt pour les États augmente. La crise de la dette peut devenir auto-réalisatrice. Enfin, les détenteurs de CDS n’étant plus directement exposés au risque de défaillance, ils peuvent être incités à relâcher leur degré de contrôle sur les emprunteurs. Les autorités européennes ont bien pris conscience de ces difficultés puisqu’elles ont interdit en juillet 2011 les CDS « à nu ».

Sur le plan académique, les travaux portant sur les CDS de dette souveraine sont peu nombreux. Nous avons cherché à combler cette lacune en identifiant pour un large échantillon de 141 pays sur la période 1980-2013, l’année de début des opérations concernant cette catégorie de CDS. Nous nous focalisons sur les CDS en dollars avec une maturité de 5 ans (source : Markit Group Limited). Nous testons l’hypothèse selon laquelle le lancement des CDS augmente la probabilité d’occurrence d’une crise de la dette souveraine mesurée selon les critères de Laeven et Valencia. Il s’agit donc de comparer la situation avec et sans CDS. Cependant, un tel exercice se heurte à plusieurs difficultés techniques. D’une part le lancement des CDS n’est pas exogène : il peut résulter d’un pessimisme marqué sur les capacités de remboursement des États. D’autre part, il peut exister un biais de sélection dans la mesure où les pays initiant des échanges de CDS peuvent présenter des caractéristiques spécifiques. Plusieurs méthodes économétriques sont mobilisées pour répondre à ces difficultés (appariements des scores de propension, méthodes des variables instrumentales, etc.).

Les principaux résultats obtenus sont les suivants. D’une part, le lancement de CDS sur la dette souveraine accroît entre 1,5 et 2 points la probabilité d’occurrence d’une crise de la dette souveraine. D’autre part, l’effet est plus important dans les pays en développement, dans les pays caractérisés par un faible degré d’indépendance de la Banque centrale, une transparence médiocre du secteur public et une situation budgétaire dégradée.

En bref, il apparaît que les pays deviennent plus vulnérables à une crise de la dette souveraine après le lancement de CDS. Il est urgent que davantage de travaux soient consacrés à ces produits dérivés dont les effets potentiellement déstabilisateurs semblent importants. Il devrait en résulter une surveillance accrue des marchés de CDS de dette souveraine. Par ailleurs, il apparaît aussi clairement qu’une politique visant à accroître l’espace budgétaire augmente la résilience des pays suite au lancement des CDS.