Transferts des migrants et coûts d’emprunts internationaux

Publié le 1 mars 2019 Mis à jour le 7 mars 2019
Date(s)

le 7 mars 2019

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Transferts des migrants et coûts d’emprunts internationaux

Les transferts de fonds des migrants sont devenus aujourd’hui pour de nombreux pays en développement la principale source de devises. Par ailleurs, depuis la crise financière globale, l’accès de nombreux pays émergents aux marchés internationaux de capitaux s’est fortement détérioré. Ce travail étudie l’influence des transferts de fonds sur les conditions de financement des pays émergents sur les marchés internationaux. L’étude révèle que les transferts de fonds réduisent significativement les taux d’intérêt des emprunts de ces pays. Les conclusions de l’article justifient les efforts des États et de la communauté internationale pour améliorer la mesure des transferts et réduire leurs coûts, et pour développer la titrisation des transferts et des obligations d’États ciblant la diaspora.

Il existe de nombreux travaux académiques sur les déterminants des écarts de taux d’intérêt sur les emprunts publics qui captent le risque sur la dette souveraine. Ces travaux ont mis l’accent sur les fondamentaux macroéconomiques des pays et la situation financière mondiale. Mais ils ont rarement considéré le rôle que pourrait jouer les transferts des migrants. Cette situation est d’autant plus surprenante que les transferts sont devenus pour de très nombreux pays la principale source de financement international, loin devant l’aide publique au développement. L’objectif de l’article est de tester, dans le cas des pays émergents, l’hypothèse selon laquelle les transferts réduisent le coût d’accès des pays émergents au financement international.
Sur le plan théorique, plusieurs mécanismes peuvent expliquer un effet favorable des transferts sur les taux d’intérêt des emprunts publics. Premièrement, les ménages bénéficiant de ces transferts vont davantage consommer et investir. Il en résulte un accroissement de l’assiette fiscale des États et donc de leur capacité d’emprunt. Deuxièmement, les transferts sont le plus souvent de nature contra-cyclique par rapport aux conditions économiques des pays bénéficiaires. Ils jouent par conséquent un rôle de mécanisme d’assurance, améliorant la résilience des pays à des chocs idiosyncratiques. Troisièmement, les États peuvent utiliser les transferts à venir comme une garantie sur les marchés financiers internationaux (à travers des mécanismes de titrisation). Quatrièmement, les États peuvent émettre des titres à destination de la diaspora comme une alternative moins coûteuse au financement sur les marchés.
La variable dépendante de l’étude économétrique est l’écart de taux d’intérêt (spread de taux d’intérêt) des emprunts d’État par rapport à celui des titres publics américains considérés comme sans risque. Une base de données constituée de 38 pays émergents sur la période 1993-2012 est mobilisée. La stratégie d’identification repose sur l’instrumentation de la variable d’intérêt, les transferts de fonds rapportés au PIB, par les conditions économiques des pays d’accueil des migrants. Plusieurs variables de contrôle sont également introduites, en particulier l’ouverture commerciale et financière et les crises financières.
Il s’avère que l’impact sur les taux d’intérêt est négatif et d’ampleur significative. Ainsi, un accroissement d’un point du ratio transferts par rapport au PIB entraîne une réduction de l’écart de taux de trois points de base. Ce résultat s’avère robuste à des méthodes alternatives d’instrumentation, à l’ajout de variables de contrôle supplémentaires, à l’utilisation d’une définition alternative des transferts, à l’utilisation des écarts de contrats d’échange sur risque de crédit (CDS) comme une mesure alternative du risque souverain et à des échantillons différents.
Une partie importante de l’article est consacrée à la mise en évidence de potentielles hétérogénéités dans les effets des transferts. Il apparait en particulier que l’impact favorable de ces derniers est d’autant plus important que le système financier intérieur est peu développé, le degré d’ouverture commerciale important et l’espace budgétaire étroit. De plus, les effets favorables ne se manifestent pas dans les pays fortement dépendants aux transferts, vraisemblablement parce que, dans ces derniers, les transferts peuvent générer des effets macroéconomiques contreproductifs (« syndrome hollandais », « dilemme du samaritain », …).
Les implications de politique économique sont notables. D’une part, un effort d’amélioration dans la mesure des transferts et la réduction de leurs coûts permettrait d’optimiser leurs effets en moyenne bénéfiques. D’autre part, il conviendrait pour les États de poursuivre les efforts pour développer la titrisation des transferts et des obligations d’États ciblant la diaspora.