Règles budgétaires et accès aux marchés financiers internationaux

Publié le 30 juin 2020 Mis à jour le 2 juillet 2021
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le 30 juin 2020

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Règles budgétaires et accès aux marchés financiers internationaux


La politique budgétaire est un instrument puissant pour réguler l’activité économique afin de faire face aux nombreux défis de développement et promouvoir des conditions macroéconomiques saines dans les pays en développement. Une vaste littérature examine le rôle de l’adoption des règles budgétaires dans l’amélioration des performances budgétaires. On entend par règles budgétaires des contraintes numériques sur les agrégats comme le déficit ou la dette publique. Cependant, très peu d’études ont exploré le lien entre l’adoption de règles budgétaires et l’accès aux marchés financiers internationaux. Cet article entend explorer à la fois les effets de l’adoption de différents types de règles budgétaires ainsi que leurs interactions sur l’accès aux marchés financiers par les pays en développement. Nos résultats montrent que l’adoption et la bonne mise en œuvre des règles budgétaires est un instrument permettant un meilleur accès aux marchés financiers internationaux.

De nombreux travaux soulignent que l’adoption des règles budgétaires améliore les performances budgétaires. Cependant, il y a très peu de recherches concernant les effets de l’adoption des règles budgétaires sur l’accès aux marchés financiers par les pays en développement. Nous considérons dans cet article deux mesures de l’accès au marché financier à savoir les écarts de taux d’intérêt pour l’emprunteur souverain et la notation de la dette souveraine. La notation de la dette souveraine est une évaluation du risque de crédit, c'est-à-dire la possibilité que le débiteur ne remplisse pas ses obligations en totalité et à temps. Pour la dette souveraine, le risque de défaillance dépend des fondamentaux macroéconomiques de l'émetteur et de la capacité du prêteur à faire respecter le contrat. Les écarts de taux d’intérêt pour l’emprunteur souverain reflètent le risque de marché (la possibilité que les prix des obligations sur le marché secondaire évoluent à l'encontre du détenteur), et le risque de liquidité (le risque que les investisseurs ne puissent pas liquider leurs portefeuilles sans faire baisser les prix sur le marché secondaire). Les partisans de l'hypothèse de l'efficience du marché soutiennent que les investisseurs sont rationnels et capables d'exploiter toutes les informations disponibles pour opérer une discrimination entre les emprunteurs. Toutefois, les opposants à cette hypothèse soulignent que les défaillances du marché et l'imperfection de l'information entraînent des distorsions dans l'évaluation des actifs. L’hypothèse principale est que les pays qui adoptent des règles budgétaires sont plus crédibles du point de vue de la conduite de leur politique budgétaire et par conséquent peuvent accéder aux marchés financiers internationaux à moindre coût.

Pour cette étude nous travaillons sur un panel de 36 pays émergents, faisant partie du JP Morgan Emerging Markets Bond Index Global, sur la période 1993-2014. Les instruments financiers considérés dans l’analyse comprennent les emprunts internationaux libellés en dollars américains (tels que les obligations Brady) les prêts et les euro-obligations d'une valeur nominale d'au moins 500 millions de dollars américains et d'une durée de 12 ans. L’écart de taux d’intérêt est calculé par rapport aux titres publics américains qui sont considérés comme sans risque. La notation de la dette souveraine est une moyenne annuelle des notations de la dette souveraine à long terme en devises étrangères par les trois principales agences de notation (Standard and Poor's, Moody's et Fitch Ratings) qui sont disponibles sur Bloomberg quotidiennement. Ces notes sont converties en un indice numérique échelonné. Une valeur plus élevée de l'indice indique une meilleure notation. Notre variable d’intérêt est une variable muette qui prend la valeur 1 si un pays a adopté une règle budgétaire, et à 0 sinon.

L’estimateur économétrique mobilisé permet de traiter le problème d’auto-sélection qui est généralement important dans les études d’évaluations d’impact.
Toutes choses étant égales par ailleurs, nous montrons un effet de causalité entre l'adoption des règles budgétaires et un meilleur accès aux marchés financiers. En effet, les pays qui ont adopté des règles budgétaires présentent un écart de taux d’intérêt plus faible et une meilleure notation de la dette souveraine.
Nous trouvons également que l'effet de l'adoption des règles budgétaires sur l'accès aux marchés financiers dépend du type de règle. Les règles de budget équilibré et les règles d’endettement améliorent considérablement l'accès aux marchés financiers, tandis que les règles de dépenses n'améliorent pas cet accès. Par conséquent, la simple adoption d’une règle de dépense ne suffit pas à réduire le coût des emprunts souverains. Toutefois, la combinaison des règles de dépenses et des plafonds de dépenses pluriannuels améliore l'accès aux marchés financiers.
L’ampleur de cette amélioration est économiquement significative. L'adoption des règles budgétaires réduit les écarts de taux d’intérêt de plus de 1,5%, tandis qu’elle augmente la notation de la dette souveraine de plus d’un échelon.
Par ailleurs, nous constatons que l'interaction des règles budgétaires est très bénéfique en termes de faibles coûts d'emprunt. Les pays qui adoptent à la fois les règles de budget équilibré et les règles d’endettement accèdent plus facilement aux marchés financiers. Il existe donc des effets de complémentarité entre les règles. Ces résultats sont robustes à un large ensemble de spécifications alternatives, à des méthodes d’estimation alternatives et à différents échantillons considérés.

Les implications de politique économique sont importantes. Les pays émergents pourraient améliorer leur accès aux marchés financiers en adoptant des règles budgétaires. Plus précisément, ils devraient privilégier les règles de budget équilibré ainsi que les règles d’endettement car celles-ci sont davantage valorisées par les marchés financiers en termes de faible coût de l’emprunt souverain et d’une notation de la dette souveraine élevée. Pour les pays qui ambitionnent adopter des règles de dépenses, des systèmes de gestion des finances publiques solides (y compris des plafonds de dépenses pluriannuels) sont nécessaires pour renforcer leur efficacité et améliorer l'accès aux marchés financiers.