Entraves de la caution solidaire à l’adaptation au changement climatique

Publié le 1 octobre 2020 Mis à jour le 1 octobre 2020
Date(s)

du 1 octobre 2020 au 18 octobre 2020

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Entraves de la caution solidaire à l’adaptation au changement climatique


Au Burkina-Faso, le système de caution solidaire organise les relations entre producteurs de coton rassemblés au sein de coopératives. Cette gestion collective du risque se fait au détriment de l’effort individuel face au changement climatique.

Une grande variété de risques, parmi lesquels ceux relatifs au climat, menace le secteur agricole africain. Dans cette région, l’agriculture dépend fortement du niveau des précipitations dont la variabilité s’est accrue au cours des dernières décennies (Cook & Vizy, 2006). Cette tendance, qui est amenée à se poursuivre tout au long du 21ème siècle, incite les agriculteurs de la région à adopter de nouvelles stratégies de gestion pour être plus résilients au changement climatique. La production de coton au Burkina-Faso, très dépendante de l’apport en eau et en proie aux difficultés climatiques, fait état d’exemple pour mieux analyser les comportements individuels d’adaptation au changement climatique.

Selon la littérature économique, les ménages ruraux décident de leur stratégie d’adaptation en prenant en compte divers facteurs tels que les caractéristiques socio-économiques, les conditions de marché ou les aspects biophysiques de l’environnement (Angelsen, et al., 2014). Cet article complète la littérature existante en enquêtant sur un facteur jusque-là négligé : la solidarité financière au sein des coopératives. L’objectif est d’analyser les interactions entre les mécanismes individuels et collectifs de gestion du risque afin de révéler les effets inattendus de l’entraide financière sur les efforts d’adaptation au changement climatique.

Au Burkina-Faso, un système de mutualisation du risque est imposé à tous les producteurs de coton appartenant à une coopérative. Les compagnies cotonnières du pays approvisionnent en intrants les coopératives qui sont ensuite chargées de les redistribuer à leurs membres au début de la saison agricole. A la fin de la saison, les agriculteurs ont l’obligation de rembourser sous forme de coton la part d’intrants qui leur a été allouée. Si l’un des agriculteurs échoue à rembourser sa part de l’emprunt, les autres membres de sa coopérative doivent prendre en charge son dû en cédant davantage de leur récolte. Ce principe est mieux connu sous le nom de « caution solidaire ».

Ce principe permet aux agriculteurs d’atténuer la variabilité de leur revenu malgré la menace d’éventuels chocs négatifs sur leur culture. Cependant, la caution solidaire peut également générer des effets inattendus et contre-productifs en termes d’adaptation au changement climatique. En effet, l’assurance d’être soutenu financièrement par ses pairs peut générer un comportement de passager clandestin de la part de l’agriculteur qui, se sachant protégé, ne produit plus autant d’effort pour s’adapter au changement climatique. Le devoir de partage peut également démotiver certains agriculteurs à investir dans des stratégies d’adaptation, dès lors qu’ils se verront potentiellement forcés de partager le fruit de leur investissement avec leurs collègues.

L’organisation des coopératives de coton au Burkina Faso offre donc un cadre intéressant pour étudier les interactions entre les stratégies collectives et individuelles de gestion du risque. Une des originalités de ce papier est d’explorer l’impact de la pression à la redistribution sur la gestion du risque dans le milieu professionnel. Jusqu’à présent, la littérature académique portait davantage son attention sur la pression à la redistribution dans la sphère familiale. Mettre en avant les effets potentiellement pervers de l’obligation de redistribuer ses ressources permet de mieux éclairer le débat sur l’organisation de la filière cotonnière très présente dans toute l’Afrique de l’Ouest.

Ce travail de recherche repose sur une enquête menée auprès de 668 producteurs de coton durant la saison agricole 2015/2016. Un modèle à variable dépendante binaire est utilisé pour évaluer l’impact de la pression à la redistribution, mesurée par la taille de la coopérative, sur les décisions d’adaptation. Les résultats, robustes et significatifs, montrent que le mécanisme de gestion du risque collectif s’effectue aux dépens des stratégies individuelles de gestion du risque. En particulier, les producteurs de coton opérant sous la tutelle de plus grandes coopératives ont une probabilité plus élevée de ne pas mettre en œuvre de mécanismes d’adaptation au changement climatique. Cette décroissance de l’effort de résilience s’explique en partie par l’existence de la caution solidaire qui décourage l’investissement dans des stratégies d’adaptation.

Références

Angelsen, A., Jagger, P., Babigumira, R., Belcher, B., Hogarth, N., Bauch, S., Wunder, S. (2014). "Environmental Income and Rural Livelihoods: A Global-Comparative Analysis" World Development. Volume 64, Supplement 1, Pages S12-S28

Cook, K. H., and E. K. Vizy, 2006: "Coupled Model Simulations of the West African Monsoon System: Twentieth- and Twenty-First-Century Simulations" J. Climate, 19, 3681–3703