Composition des dépenses publiques et coût de l’emprunt souverain

Publié le 28 avril 2020 Mis à jour le 22 juin 2020
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le 28 avril 2020

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Composition des dépenses publiques et coût de l’emprunt souverain

L'accès aux capitaux sur les marchés financiers internationaux est nécessaire pour les pays en développement. Toutefois, suite aux crises des dettes souveraines, les investisseurs ont exigé des rendements plus élevés pour la détention des obligations. Ces comportements peuvent s’interpréter comme la recherche d’une prime de risque. Il est vrai qu’une vaste littérature analyse les déterminants du coût des emprunts souverains. Cependant, les contributions se focalisant sur les effets de la politique budgétaire sont plutôt rares. L'objectif de cet article est d'étudier plus particulièrement les effets de la structure des dépenses publiques sur les écarts de taux d’intérêt pour l’emprunteur souverain.

Les premiers travaux ne parviennent pas à établir une relation entre la dépense publique et les taux d’intérêt auxquels les pays sont confrontés sur les marchés internationaux. Mais cette absence de résultat peut être expliquée par la non prise en compte de la composition de la dépense publique. En effet, la théorie économique distingue les dépenses productives des dépenses improductives. Concernant ces dernières, cela ne signifie pas qu’elles sont inutiles pour les ménages mais plutôt qu’elles contribuent, dans une moindre mesure, à une amélioration de la productivité des facteurs et à l’accumulation productive. De plus, ces dépenses improductives sont particulièrement sensibles à des considérations d’économie politique et, en particulier, au cycle politico-budgétaire qui caractérise la plupart des pays en développement et qui génère des distorsions importantes. Nous considérons dans cet article comme dépenses productives les dépenses en investissement et, comme dépenses improductives, les dépenses courantes. L’hypothèse principale est de considérer que les investisseurs internationaux vont davantage valoriser les dépenses d’investissement et que le coût de l’emprunt souverain sera par conséquent plus élevé pour les pays consacrant une part significative de leurs ressources fiscales et non fiscales aux dépenses courantes.

Plus précisément, nous travaillons avec un panel de 30 pays émergents sur la période 2000-2013. Les données financières sont issues du JP Morgan Emerging Market Bond Index Global. Les instruments financiers pris en compte dans l’analyse comprennent les emprunts internationaux libellés en dollars américains, tels que les obligations Brady, les prêts et les euro-obligations d'une valeur nominale d'au moins 500 millions de dollars américains et d'une durée de 12 ans. De façon usuelle, l’écart de taux d’intérêt est calculé par rapport aux titres publics américains qui sont considérés comme sans risque.

L’estimateur mobilisé corrige le biais d’endogénéité qui peut être particulièrement sévère. En effet un pays peut modifier ses dépenses publiques en réaction à un changement des conditions de financement sur les marchés internationaux.

Les principaux résultats, toutes choses égales par ailleurs, sont les suivants : i) la dépense publique totale n’affecte pas le coût de l’emprunt sur les marchés internationaux ; ii) une augmentation de la part des dépenses publiques courantes majore les taux d’intérêt ; iii) à l’inverse une augmentation de la part des dépenses d’investissement est interprétée comme un signal positif par les marchés. Autrement dit, lorsque l’on considère à la fois un effet de niveau et un effet de composition de la dépense publique, seul ce dernier s’avère significatif sur les taux d’intérêt.

Un autre résultat important de l’article est la mise en évidence d’effets non linéaires. Ainsi il apparaît que le caractère pénalisant des dépenses courantes est étroitement relié à la qualité institutionnelle. C’est dire que pour des pays caractérisés par de bonnes institutions, l’impact des dépenses courantes sur les taux d’intérêt est beaucoup plus favorable.

Nous avons également distingué les différentes catégories de dépenses publiques par fonction. Il apparaît en particulier que les dépenses d’éducation et de santé ont des effets favorables sur les conditions d’emprunt. En effet, elles contribuent à une augmentation du capital humain. A l’inverse, certaines catégories de dépenses, comme par exemple les dépenses militaires, majorent les taux d’intérêt auxquels les emprunteurs publics sont confrontés.
Ces résultats s’avèrent remarquablement robustes aux méthodes d’estimation, aux spécifications retenues et aux échantillons considérés.

Par conséquent, la promotion de l'investissement public et la réduction des dépenses courantes peuvent être, malgré leur coût politique de court terme important, un moyen vertueux de permettre aux pays émergents de lever des fonds internationaux à moindre coût. La recherche de faible taux d’intérêt de long terme peut donc exiger des sacrifices dans le court terme.

Naturellement, cet article n’épuise pas la totalité des questions que le chercheur peut se poser sur ce sujet d’importance majeure. En particulier nous n’avons pas pu étudier les effets de débordement que les dépenses publiques réalisées dans un pays peuvent avoir sur ses voisins. Il est bien connu que ceux-ci peuvent être négatifs dans une union monétaire mais ils peuvent également être positifs si les infrastructures (en particulier de transport) financées par les dépenses publiques ont un caractère transfrontalier.