Aide à la santé de la Chine aux pays africains : que nous apprennent les données ?

Publié le 6 avril 2020 Mis à jour le 6 avril 2020
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le 6 avril 2020

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Aide à la santé de la Chine aux pays africains : que nous apprennent les données ?


La Chine est de plus en plus présente en Afrique, où elle apparaît comme un important partenaire des États dans le secteur de la santé. Cette étude s’interroge sur un ensemble de facteurs permettant de mieux comprendre les motivations de l’aide de la Chine aux pays africains en ce domaine. Les résultats montrent qu’elles sont complexes et qu’elles relèvent à la fois des besoins des pays africains et d’intérêts spécifiques à la Chine.

L'intérêt de la Chine pour l'Afrique n'est plus à souligner. Il s’est réaffirmé avec force lors des Forum sur la Coopération Sino-africaine (FOCAC) qui se sont succédé depuis le premier forum, organisé en 2000. Depuis lors, l'aide chinoise à l'Afrique s'est considérablement accrue. La Chine est aujourd'hui l'un des principaux « nouveaux donateurs » en matière d'aide publique au développement à l'Afrique. Plusieurs études se sont interrogées sur les motivations (les déterminants) de cette aide. L'une des grandes conclusions en est que l’aide chinoise sert au premier chef les intérêts spécifiques de la Chine. La principale raison de l'aide de la Chine à l’Afrique serait de garantir son accès aux ressources naturelles des pays africains, de favoriser ses exportations et sa participation à la construction des infrastructures tout en élargissant son influence internationale. La Chine, pour sa part, met l'accent sur le fait que son aide est allouée en réponse aux besoins exprimés par les pays bénéficiaires dans une perspective de coopération mutuellement bénéfique et en respectant le principe de non-ingérence dans les affaires intérieures des États.

L’objectif de notre article est de mieux comprendre les motivations de la Chine pour l’aide à la santé en Afrique en s’interrogeant notamment sur le rôle potentiel d’une sélection de facteurs généralement avancés dans la littérature comme déterminants de l’aide publique au développement (besoins, mérites et intérêts du bailleur). À notre connaissance, notre étude est la première à utiliser des approches économétriques pour analyser la question de l’aide à la santé chinoise en Afrique. Elle porte sur la période 2006-2013 : 2006, parce que le troisième FOCAC (2006), ainsi que le premier « Livre blanc » sur la politique africaine de la Chine diffusé cette même année, mettent expressément en évidence l’importance de l’aide à la santé dans la coopération sino-africaine et 2013, qui était la dernière année pour laquelle les données étaient disponibles lorsque nous avons réalisé cette recherche.

Les principales spécifications économétriques de l’étude reposent sur des régressions de Poisson. Nous utilisons également un modèle de sélection de Heckman et un modèle Tobit pour tester la robustesse des résultats. Nous retenons différentes variables pour spécifier l’aide à la santé de la Chine et caractériser les besoins, les mérites des pays bénéficiaires et les intérêts de la Chine. Nous avons introduit des variables de contrôle théoriquement justifiées.

Quatre conclusions principales se dégagent de nos résultats.

Il apparaît tout d’abord que l’aide à la santé de la Chine en Afrique est allouée en prenant en considération certaines dimensions des besoins des pays récipiendaires. Les pays les plus pauvres et ceux où les dépenses publiques de santé sont les plus faibles reçoivent comparativement plus que les autres. Mais l’aide à la santé n’est pas clairement liée aux principaux indicateurs de santé tels que l’espérance de vie à la naissance, la mortalité infantile et maternelle ou la prévalence du paludisme et du VIH sida.

En second lieu, et conformément au principe de non-ingérence dans les affaires intérieures des États, constamment réaffirmé par la Chine, il n’y a pas de relations entre la gouvernance des pays (dont la corruption) et l’aide à la santé qu’ils reçoivent de la Chine.

Troisièmement, bien que la Chine soit souvent suspectée d’allouer son aide essentiellement pour promouvoir ses intérêts économiques, nous ne trouvons pas de preuve suggérant que son aide à la santé est influencée par les dotations en ressources naturelles des bénéficiaires ou par le volume des investissements directs chinois qu’ils accueillent. Par contre, nous trouvons une relation positive entre l’aide à la santé et l’intensité du commerce de la Chine avec les récipiendaires.

Enfin, nos résultats confortent l’idée selon laquelle l’aide à la santé de la Chine est un instrument de sa politique étrangère et de son soft power. En particulier, la reconnaissance du principe de « Une seule Chine » - c’est-à-dire la non-reconnaissance de Taiwan - apparaît comme une condition nécessaire pour bénéficier de l’aide à la santé chinoise. En revanche, il n’existe pas de relations entre cette dernière et l’aide à la santé accordée aux États africains par les pays de l’OCDE, ce qui renvoie à l’importante question de la fragmentation de l’aide à la santé et aux besoins de coordination entre bailleurs qui en découlent, ce à quoi la Chine s’est montrée jusqu’ici très réticente.