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Conférence doctorale : Pierre Leroux (Université de Strasbourg)

Publié le 21 mars 2019 Mis à jour le 21 mars 2019
Date
Le 21 mars 2019 De 17:00 à 19:00
Lieu(x)
MSH - 4 rue Ledru à Clermont-Ferrand

Grands hommes, dépenses ostentatoires et Relation aîné-Cadet


Système social et organisation politique chez les Jawi de Thaïlande et les anciens Malais

Résumé

La morphologie sociale, le système économique et l’organisation politique traditionnels des Jawi de Thaïlande du Sud, musulmans de langue austronésienne, au système de groupes de parenté indifférenciés à forte tendance matrilinéaire et à la règle de résidence marquée par une uxorilocalité dominante, sont représentatifs, outre des structures de cette société, de celles des anciens Malais péninsulaires. Ces sociétés musulmanes sont caractérisées par un islam syncrétique marqué d’un substrat ancien animiste, de nombreux reliquats de croyances hindouistes autrefois prédominantes et de l’influence du bouddhisme theravada du petit véhicule dominant dans nombre de pays voisins du Monde malais (Thaïlande, Birmanie, Cambodge, Laos), par une très forte hiérarchie sociale, une grande verticalité politique et l’ostentation sociale et économique qui s’exprime à tout moment, tant dans les événements et rites exceptionnels que dans la vie quotidienne.

Cette ostentation prend, par exemple dans une cérémonie d’alliance (c’est-à-dire un mariage) chez des familles relativement pauvres, la forme d’un « prix de la fiancée » (ou compensation matrimoniale) très élevé jusqu’à atteindre des sommes énormes impossibles à rembourser, et le festin cérémoniel peut accueillir plus de deux mille invités. La mise en gage de biens mobiliers et immobiliers obligée par les sommes requises, l’impossibilité de pouvoir rembourser ou simplement de payer le prix dû, amènent à l’engagement des personnes dans une société historiquement très marquée par l’esclavage et notamment, encore aujourd’hui, par l’esclavage interne (ou pour dettes).

Cette ostentation sociale et ses conséquences sont à considérer en relation étroite avec les diverses institution évoquées, mais dans un contexte féodal absolu – à comprendre ici comme l’émiettement du pouvoir politique –, notamment sous la forme de la dichotomie Aîné-Cadet et du Principe de Séniorité sociale (ou son corollaire dyadique, la Juniorité sociale), et en tenant compte de l’existence de l’institution des « Grands Hommes », jadis condition nécessaire à l’émergence d’un Etat unifié semi-despotique et désormais témoin d’un sultanat aujourd’hui disparu, absorbé et conquis par le Siam, renommé Thaïlande, à la fin du XVIIIe siècle, sans que l’Etat thaïlandais réussisse pour autant à imposer vraiment sa pleine autorité régalienne dans une région de Thaïlande marquée par une rébellion endémique depuis sa conquête, sous la forme d’une guérilla sanglante qui renoue de fait avec le principe féodal, confortant celui-ci en dépit des apparences.

Ces paradigmes historiques peuvent varier désormais dans la forme concrète qu’ils prennent mais restent structuralement les moteurs signifiants de la société actuelle autant qu’ils l’étaient autrefois et permettent d’en comprendre les mécanismes profonds et d’en proposer une analyse voire de prédire dans une certaine mesure les attitudes et situations futures vécues par ce type de population sur les plans économique, social et politique.